Jan Kopp
Dossier mis à jour — 01/06/2024

Le jardin des mâts

Le jardin des mâts
Par David Moinard, 2023

Des bouchons de bouteilles en plastique ou en liège, de morceaux de vinyles, des billets de banque passés au pilon, des dynamos de vélos, des plaques d’immatriculation, des billes en acier, en verre, des bijoux de pacotille, des balles de ping-pong, des bris de plexiglass ou de pare-brise, des plaquettes de frein, de la fibre optique, sont quelques exemples parmi une liste beaucoup plus longue d’objets qui entrent dans la composition des mâts imaginés par Jan Kopp pour jalonner la forêt qui se développe entre ces bâtiments du Village des athlètes.

L’artiste se livre ici à une sorte d’archéologie du présent. Comme inspiré du poudingue, cette roche qui se caractérise par un conglomérat de galets pris dans un ciment de grès et dont le nom est tiré du célèbre gâteau anglais où les raisins remplacent les galets et le pain sucré le grès, Jan Kopp agit autant en géologue qu’en chef cuisinier. Car c’est en récoltant ses ingrédients puis en expérimentant un assemblage et un autre, aidé de commis attentifs (eux aussi partiellement implantés dans le territoire, notamment au 6b, coopérative artistique unique à Saint-Denis), se laissant guider par son intuition tout en s’ouvrant à l’inattendu, qu’il a pu fabriquer cet ensemble harmonieux de perles comme autant de plats délicats dont le mât formerait le festin.

Ainsi, les mâts racontent une histoire particulière à travers les matériaux qu’ils convoquent : celle d’un espace – la Seine-Saint-Denis – et d’un temps – la fin du XXe et le début du XXIe siècle. Ils proviennent de chantiers du territoire, aussi bien de démolition que de construction, de matériaux stockés dans les ressourceries liées à l'histoire du site, ou simplement de la rue, de déchetteries, de caves et de greniers, narrant ainsi, à l'image d'un prélèvement ou d’un carottage géologique, les usages, l'histoire et les diversités matérielles de cet environnement. Ils enferment l’histoire des 100 années, 1924 – 2024, qui séparent les deux fois où les jeux olympiques se sont tenus à Paris ; siècle où d’un coup les sociétés se sont mises à consommer beaucoup, à jeter beaucoup. Les vils déchets issus de nos consommations outrancières côtoient dans les mâts du jardin de rares matériaux naturels comme des galets de rivière ou des blocs de calcaire récupérés d’un chantier devant la basilique St-Denis. C’est le début de l’anthropocène qui se trouve ainsi fossilisé dans les sculptures de Jan Kopp. Ce sont aussi des échanges éphémères, des rencontres fugaces, celles nécessaires à la collecte des matériaux, qui se retrouvent durablement minéralisés dans l’œuvre, comme le vol d’un insecte pris dans l’ambre.

Le Jardin des mâts propose un parcours sensible au sein de la forêt jardin. Comme pour amarrer les bâtiments au fleuve voisin, ils font penser aux fameuses palines de Venise sur lesquelles s’amarrent les gondoles. Ils évoquent aussi les nombreux sports de l’histoire olympique faisant appel à des barres ou mâts, équitation, kayak, saut, etc. L’œuvre est ainsi un ensemble sculptural dont les éléments, les mâts de hauteurs variables, sont autant d’antennes sensibles à chercher entre les arbres. Les couleurs dont ils sont composés reprennent la palette développée sur le bâti – elle-même issue d’une toile du peintre Philip Guston dont l’architecte s’est inspirée pour choisir sa gamme chromatique – et deviennent des points de liaison entre l'espace naturel et les habitants.

Les mâts accueillent et ils informent, à la manière des arbres de mai – ces grands troncs dressés à l’entrée des villages bavarois, d’où l’artiste est originaire, où sont sculptés les métiers et activités qu’on y trouve. En enfermant le territoire en eux, non seulement ils nous informent sur lui mais ils nous guident aussi sur un chemin : celui, nécessaire, de toujours inventer sur les ruines du temps.

© Adagp, Paris