On pourrait dire du design qu’il n’est qu’une facette du travail d’Amaury Poudray, qui ne l’envisage d’ailleurs plus comme une discipline indépendante mais plutôt comme une modalité, une façon parmi d’autres d’approcher les choses. Ainsi, les formes qu’il dessine circulent tranquillement de l’art au design, du podcast au paysagisme, et chacune d’elles se leste naturellement de ces circulations. L’ensemble pourrait aussi bien relever de la chronique privée d’une histoire personnelle, si ce n’est qu’il prend les atours d’un manifeste conscient, où s’affirme le refus de partitionner les états d’être et de faire.

Sa réflexion autour du décloisonnement des formes et des pratiques – artistiques, spirituelles, sociales – s’épanouit le plus souvent par la mise en commun des savoirs. Le collectif prévaut : en 2022, dans les parcs nationaux des Cévennes, des Pyrénées et du Quercy, il imagine avec l’artisan Arnaud Mainardi des stations d’observation du ciel étoilé. Travail à quatre mains, bois et pierre, matières brutes pour des pièces mobilières qui s’intègrent en douceur dans le paysage : une invitation dans la nuit à apprivoiser des réalités cosmiques bien plus vastes que l’échelle de nos corps ; et un support à l’introspection et à la rêverie. Pour étoffer cette proposition contemplative, un totem cartographique pour lire les constellations et une agora, qui permet l’examen céleste à plusieurs : la question de la transmission est au cœur des préoccupations d’Amaury Poudray, qui apparaît comme un sculpteur de liens, un enquêteur relationnel, un designer de processus partagés.

En 2022 toujours, il exprime une autre expérience du corps dans la conception d’une série d’installations dans le Parc Naturel Régional de l’Aubrac et sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Certaines de ces constructions sont des passages, facilitateurs de traversées, d’autres des stations de méditation. À nouveau, l’intégration et l’essentialisation sont de mise : par la pierre sèche et le bois de châtaignier¹, Amaury Poudray s’insère délicatement dans les écrins naturels, et précise l’ascèse graphique de ses formes, lointain héritier d’une mouvance minimale, entre éthique et esthétique. Less is more : comme si le vide amplifiait ici l’aventure psycho-spirituelle proposée, et plongeait le public dans la définition du geste artisanal par excellence : associé à une exigence du ressenti, l’artisan engage son corps, fait l’expérience de la limite, dans la matière, les outils à disposition, la main qui fatigue, la vie qui n’est pas infinie… Par ces limites, Amaury Poudray nous traduit une conscience de soi, une expérience qui mobilise des affects, une humanité face à la matière et au paysage.

Dans ces formes du repos, la question du ressourcement rallie celle de la ressource. Ébloui un temps par le design d’auteur, Amaury Poudray ne voit plus vraiment l'intérêt de créer un meuble de plus, si ce n’est pour incarner un manifeste. Adepte du réemploi dès 2016, il imagine Guildo² en 2023, inspirée d’une chaise existante dénichée sur la côte bretonne, et conçue sur la base du recyclage de matériaux locaux : ainsi, le bois du sipo, issu du stockage des bois massifs en cours de séchage, et le tissu en polyester qui provient de chutes d’une entreprise d’impression de supports de communication PLV. Le designer n’en reste pas là : il imprime sur le tissu d’assise une phrase de Chögyam Trungpa, moine tibétain grand méditant, qui enjoint les humains à regarder les choses telles qu’elles sont ; l’effondrement de la biodiversité, la valorisation de déchets comme cette bâche et ce sipo, censés être jetés, font partie des éléments constitutifs de cette situation réelle dont il semble très urgent de prendre acte. Ainsi, toujours via son expérience de vie, Amaury Poudray pense ses objets à l’intérieur d’un système de frugalité, où l’écologie et la coopération réintroduisent de la conscience dans les usages.

Enfin, la création en milieu scolaire, de la crèche à l’enseignement supérieur, mobilise son attention de manière grandissante. Récemment, invité à curater une série de tables rondes pour penser le design et l’artisanat contemporains, Amaury Poudray trouve dans ces formes de rencontres et de recherches un nouveau terrain d’expérimentation. La liberté de sa pensée, aimantée par l’immatériel, le conduit aujourd’hui à explorer l’univers du podcast : en préparation, ses podcasts Zigzag documentent le pas de côté, les grands virages existentiels et les expériences hors-normes. Cinq épisodes sont en cours de production, où l’on croisera entre autres une énergéticienne, un joueur d’échecs professionnel, un papa veuf, ou une personne qui translate son expérience de mort imminente. Autant de voix qui ouvrent de nouvelles voies pour le designer, à la fois personnelles et professionnelles.

Revendiqué, cet entrelacement des vécus devient une signature. Longtemps, l’histoire de l’art a choisi de diviser une œuvre visuelle entre un aspect signifiant, que l’on cherche à documenter à partir de sources textuelles, littéraires, historiques, et une dimension formelle, conçue comme un simple habillage assez indifférent à la production du sens. Or, il semble aujourd’hui évident qu’il n’existe pas de telle scission tranchée, comme il n’y a pas de séparation dualiste corps et âme : tout fonctionne et tout produit du sens ensemble. L’œuvre d’Amaury Poudray ne sépare pas la forme du fond, la main de l’intelligence, ni l’art de la vie. Son parcours témoigne d’une « pédagogie du réel », où chaque situation est une occasion d’apprendre, et où la spiritualité a valeur d’idée phare, comme un questionnement permanent, plutôt qu’une réponse.