David Blasco
Dossier mis à jour — 04/02/2025

Dialogue avec l'artiste

Dialogue avec David Blasco et Chantal Scotton
Dans le cadre de la programmation hors-les-murs du centre d’art contemporain Parc Saint Léger, Hôtel de Ville de Varennes-Vauzelles, 2023

Parc Saint Léger : Ton parcours, tes productions successives révèlent me semble-t-il un penchant de plus en plus explicite pour le dialogue avec la réalité physique, géométrique des lieux que tu es amené à investir, comme si ta pratique du dessin, tes connaissances techniques et artistiques étaient autant d'outils pour révéler les potentiels de nos environnements. Peux-tu nous dire comment, pourquoi, cette pratique de l'in situ est devenue un aspect crucial de ta démarche ?

David Blasco : La pratique de l’in situ (depuis mon séjour de recherche dans les zones urbaines abandonnées entre Saragosse et Madrid) est pour moi une histoire d’occupation temporaire, l’expérience d’un environnement, une observation de la construction, une récolte de signes puis de l’émergence d’un dialogue avec ce qui est là. Dialogue que j’écris avec les formes que je fabrique, en piochant dans le « catalogue » des matières manufacturées.  
En amont je dessine un prototype, un environnement. À l’aide des outils dont je dispose : le dessin, la maquette, l’imagerie 3D, la vidéo, le son… Je détermine au fur et à mesure d’essais les formes, ce qui doit rester, avec quels matériaux et quel aspect. Une micro architecture qui peut, comme c’est le cas pour Patio, être praticable. Mais l’installation praticable doit aussi faire image et donc proposer une perspective à penser, à projeter le temps de l’habiter, de la visiter.  

Ce qui est frappant c'est aussi de voir combien tu t'intéresses à l'histoire sociale des lieux, comment les personnes, les usagers y vivent. Pour ce projet, tu as patiemment fait des recherches dans les archives, tu as suivi une visite commentée sur la cité ouvrière dite Cité jardin. À quel endroit ces rencontres, ces mémoires, interviennent dans ton travail et plus particulièrement dans ce projet ?

Je souhaitais déjà découvrir ce qui a motivé l’entreprise architecturale de la Cité jardin de Varennes-Vauzelles (V-V). Je ne me pose pas comme un corps étranger mais au mieux averti.  
J’ai récolté des informations sur le terrain pour concevoir une installation, Patio, qui occupera temporairement le hall de la Mairie de V-V. Il ne s’agit pas là de faire histoire du lieu, mais bien de faire résonner les informations qui me paraissent essentielles pour poursuivre la construction d’un dispositif plastique (écho entre la mairie et son hall vitré). Une unité d’habitation ici fictionnelle s’est implantée. Patio, le titre de l’installation, fait référence à cet espace architectural à ciel ouvert situé à l’intérieur d’une maison, une sorte de cour privée et non publique. Dans la mairie, l’installation Patio sera un potentiel lieu de circulation fréquentable par les habitants.
Lors de la visite de la Cité jardin organisée par l’office du tourisme, j’ai retrouvé en partie quelques passages de cet ouvrage, de Varennes-les-Nevers… à Varennes-Vauzelles, qui m’a accompagné tout au long de mon travail d’investigations. Ouvrage qu’une personne des archives m’a présenté. Je la remercie. L’exemplaire dont je dispose sera consultable le temps de l’exposition.

Au-delà des caractéristiques de cette pratique en regard du lieu, pouvons-nous dire que c'est bel et bien la notion d'espace qui t'occupe ? L'espace comme projection d'un possible habitat ? L'espace comme construction incessante de notre perception ?

Effectivement. La notion d’espace est une préoccupation au quotidien, comme une notion et non comme un acquis. Cette notion d’espace oscille, lorsqu’il devient concret, entre zones praticables ou zones délimitées. C’est aussi dans l’écriture de textes, de fictions, que l’espace retrouve un potentiel plus vaste, non saturé et parfois disponible. Cela me permet lorsque je travaille sur une série de pièces comme Quiet-Earth, Campement ou À La lueur des guides, d’écrire soit un état des lieux soit une perspective. Cela me permet de scénariser les processus d’adaptation des formes mais aussi de quelle façon elles naissent et progressent dans leur environnement. Un peu comme les cellules de gélatines que l’on observe dans le film Body snatchers d’Abel Ferrara. Elles s’adaptent aux conditions, mutent et clonent l’humain en prenant d’abord racine dans son environnement. Dans le recueil de nouvelles Vue en coupe d’une ville malade de Serge Brussolo, l’architecture est un programme en disfonctionnement qui consume l’habitant...  
L’habitation d’un lieu, quelle qu’en soit la configuration ou l’aménagement, n’est que précaire, temporaire et n’est jamais un acquis. Le bâti est lui aussi en perpétuelle mutation et contribue à façonner nos identités. Qui produit quoi ou quoi produit qui ?

Cet intérêt pour la construction d'espaces passe par un intérêt pour les formes géométriques standardisées, dupliquées, fonctionnelles avec me semble-t-il une ambiguïté quant à la notion de liberté, entre plaisir d'une échappée géométrique et frayeur d'une poursuite aliénante ! 
Est-ce que ta pratique se nourrit aussi d'un regard critique eu égard à la standardisation de nos environnements, plus précisément du design de nos environnements ?

Lorsque j’ai réalisé une installation pour la Balise (le pôle d'éducation artistique de l'École supérieure d'Art de Clermont-Ferrand) lors des Journées Européennes du Patrimoine, je me suis interrogé, et davantage depuis, sur l’influence que peut avoir le lieu. De quelle manière une réalisation plastique qui émerge de l’observation de ce lieu peut s’émanciper, devenir autonome et se distiller, comme un sentiment, après avoir campé un territoire. Les espaces que j’observe sont majoritairement urbanisés. Ils sont programmés, réalisés et ce aussi métaphoriquement selon un principe dit hippodamien, en damier orthogonal. 
Les formes plastiques que je fabrique s’enrichissent et mutent au fur et à mesure des expériences. Elles résultent d’un travail qui s’amalgame avec l’architecture, son organisation urbanistique, économique et humaine. 
L’architecture reste faite pour l’humain a priori, tant que l’individu le lui rend bien, tant qu’il déplace, transforme et prépare la matière pour l’industrie : tant que l’on a encore besoin de ses bras. L’habitat est une industrie à l’obsolescence programmée.  
Lors de ma résidence à la Factatory à Lyon dans le 7e arrondissement, j’ai pu observer que l’environnement se dessine avec des « villages nouveaux » qui ont, comme un putsch, pris place sur les parcelles de mémoire du quartier. Contrairement à leurs ancêtres, elles ne devraient pas être debout longtemps et ne pas laisser une trace dans le futur. 
J’ai le sentiment d’avoir lu un roman d’anticipation hier et de l’observer au lendemain de sa lecture. Je pense par exemple à L’île de béton, I.G.H. de J.G. Ballard ou à l'Esthétique de la disparition de Paul Virilio, aux paysages urbains de Mike Davis avec Dead Cities… Tu me diras peut-être que Mad Max n’est pas loin ?

L’Homme de Vitruve voit son envergure réduite jusqu’à ne plus pouvoir la déployer dans l’espace. Il lui reste peut-être encore ses pensées, sa perspective. Je suis pour l’instant assez convaincu que la seule trajectoire possible que nous puissions emprunter pour s’émanciper de l’environnement qu’impose l’industrie du bâtiment est une forme de mutation et non de fuite. S’adapter à l’ici et maintenant car aucun transport en commun n’a de ligne Fuite.

J’évoquais plus haut le plan hippodamien. Je pense systématiquement mes projets selon une grille. Cette grille est délimitée par un format de départ, arbitraire, elle permet une subdivision de cet espace et augmente les zones d’expressions possibles. Dans la série Systèmes d’assemblages, je crée un alphabet illimité de formes, aux variations multiples tant que la grille me le permet.

Pour ce projet, tu as fait appel à Marina Guyot, artiste par ailleurs, pour la conception et le tissage manuel des assises à partir de fils de coton soigneusement choisis. Tu construis par ailleurs toi-même tous les éléments de tes installations, certes à partir de matériaux de construction basiques. Quelle place a le "fait main" dans ton processus ?

Le "fait main" est une forme de résistance dans la réalisation de mes projets. Une sorte de lutte entre ce qui nous est proposé comme matière à consommer pour la construction et ce que la pratique manuelle peut en faire. J’aime passer par exemple de l’écriture à la marqueterie ou du son à la rythmique graphique d‘une forme, d’un pattern comme prototype d’agencement. 
Marina Guyot qui elle aussi travaille principalement sur cette notion de grille, s’interroge sur la place que peut avoir, comme variation dans le cadre, l’expression d’un geste organisé et libre. Elle tisse depuis peu et tente d’intégrer cela à sa pratique artistique.  
Pour Patio, j’ai seulement transformé des matériaux d’isolation, de construction référencés et normés pour les détourner de leurs usages. Marina a elle fabriqué par le tissage ces assises presque cinétiques qui sont non sans nous rappeler les motifs textiles d’un hall de gare.