Texte de Yann Chevallier
Texte de Yann Chevallier
Pour l'exposition Kamikaze 2089, Le Confort Moderne, Poitiers, 2004
76 ans après le premier Grand Prix Inter Artistes de Mini-Motos qui s'est déroulé à Genève, (Floating Bowl 03), Floating Land, micro nation souveraine, s'est transformée en état policier, sous la coupe d'un corps de police un peu dilettante, prêt à tous les abus de pouvoir pour obtenir quelques satisfactions personnelles. Floating Land est paisible, hors du monde, mais nous sentons bien que tout peut basculer. Le circuit qui contourne l'exposition est désert, les motos sont là et la police n'a qu'un œil discret sur les petits bolides. Tous les ingrédients sont réunis pour un raid extrême autour d'une foule assoiffée de sang et de héros et nous savons que tous les coups sont permis pour emporter le trophée de la course mythique.
Kamikaze 1989
Le titre de l'exposition est un emprunt à Kamikaze 1989, un film allemand de seconde zone avec Fassbinder dans le rôle principal. Il y campe un policier incorruptible, en costume léopard et Mercedes assortie, qui lutte sans répit contre le divertissement spectaculaire qui aliène, par le canal TV, une bonne partie de la population. Ses méthodes viriles et peu conventionnelles en font une figure archétypale de l'anti-héros solitaire et incompris. La voiture et certains éléments graphiques qui distinguent la police floating-landaise sont en référence directe à l'univers kitsch et rétro-futuriste du film.
Floating Land
Chaque nouvelle exposition permet à Sophie Dejode et Bertrand Lacombe de développer un peu plus la construction de Floating Land, résidence d'artistes autogérée et utopie appliquée au service de la création contemporaine. Après plusieurs évènements fondateurs, les deux artistes réunissent pour l'exposition une première base aboutie du projet. Kamikaze 2089 regroupe des développements de réalisations antérieures, augmentées de nouvelles productions. L'exposition se construit sur le modèle d'un camp retranché, grillagé, composé de conteneurs marins surélevés et habillés, d'amas de bois dessinant d'hypothétiques bicoques, d'un module spatial, de gradins colorés, de robots menaçants et de curieux engins motorisés : une Mercedes gonflée et armée, des mini-motos transformées.
Cet étrange parc semble promettre bonheur et amusement, les formes sont séduisantes, les couleurs aguichantes, mais l'îlot n'est pas accessible immédiatement. Il paraît verrouillé, impraticable. Une seule entrée est possible et pour accéder aux pièces, il faut déjouer les pièges que constitue le réseau de grillage qui contourne et enserre chacune des œuvres. Le parcours emprunte à la figure du labyrinthe, avec ses fausses pistes, ses voies sans issue ; il tient également du parcours militaire, car une fois l'entrée trouvée, la circulation s'avère rapidement autoritaire, difficile et peu ergonomique.
Le Kippen's Burger, restaurant officiel de Floating Land prend une nouvelle dimension avec l'adjonction d'un conteneur supplémentaire. Il se déploie sur plus de 16m de long et repose à 1,8m du sol. Une cuve transformée en cuisine s'ouvre par des fenêtres/passe-plats sur deux conteneurs. L'ensemble forme un complexe de restauration avec deux salles possibles. Lang et Baumann, jeunes artistes suisses, ont designé un environnement total pour le premier : un salon aux courbes arrondies qui emprunte autant au minimalisme qu'au design italien des années 60. Dans le second, Le Gentil Garçon propose une nouvelle pièce, peuplée de fantômes et d'un os surdimensionné.
La montagne est une des pièces fondatrices de l'environnement du couple. Bois brut, planchettes et bois de coffrage forment un amoncellement entre le terrier et le chalet suisse. Une entrée étroite permet d'accéder à un tunnel, qui nous emmène après diverses contorsions dans une petite salle de restauration japonaise puis dans une chambre au confort très montagnard.
Une résidence d'artistes
Le couple invite systématiquement d'autres artistes à collaborer à ses expositions. Le Gentil Garçon dessine un des conteneurs tandis que Roll'ywood est une collaboration avec le Collectif 1.0.3. Une structure de 9,7 m de long et de 1,8 m de haut forme un tube qui rappelle les modules lunaires des récits de science-fiction. La structure accueille dix moniteurs vidéo alignés qui présentent un défilement rotatif d'images tirées des archives de montage et production d'œuvres de Sophie et Bertrand. Des combinaisons aléatoires d'images se figent sur les écrans selon un rythme établi : "Le terme "rotatif et collaboratif" que nous associons à certains de nos travaux correspond à une expérimentation de ce qu'est le participatif, via des dispositifs de circulation de documentations." Autre collaboration, au pied d'un des gradins, nous trouvons un espace de repos dessiné par Emilie Maltaverne et Stéphane Magnin. Un chill-out qui permettra à ceux qui ont réussi à l'atteindre de goûter à un repos collectif bien mérité dans un environnement coloré. Shingo Yoshida présente une drôle de moto, transformée en roue unique à l'intérieur de laquelle se place le pilote. Cédric Tanguy joue les commentateurs sportifs glam et survolté pour nous faire vibrer pendant la course. Enfin Arnaud Maguet a produit une bande son originale qui est diffusée dans l'exposition.
Floating Bowl
Le premier Grand Prix Inter-Artistes de Mini-Motos organisé par Sophie et Bertrand s'est déroulé à Genève en 2003. L'épreuve fonctionne comme une compétition de sports mécaniques. Dix pilotes, tous artistes, s'affrontent sur une piste sinueuse contournant les œuvres et les spectateurs pour remporter le trophée du meilleur artiste. Le choix des pilotes est confié à cinq personnes qui jouent le rôle de commissaire de course, jury et team manager. Ils sont critiques d'art, journalistes ou directeurs d'institutions et agissent comme commissaire sur l'exposition, en sélectionnant des artistes, en activant des rencontres et en permettant le croisement de réseaux artistiques. La compétition sportive propose un modèle caricatural de la concurrence qui anime le microcosme de l'art contemporain. Il n'y a pas de règles pour cette course, tous les coups sont permis pour arriver le premier. L'univers de la course automobile donne également aux artistes un réservoir visuel très riche et immédiatement identifiable. Les motos sont customisées, des feux de signalisation indiquent le départ de la course, chaque coureur arbore une panoplie et défend une des dix couleurs qui compose le logotype de Floating Bowl. Blousons, casques, patchs sont produits spécialement pour l'exposition et constitueront autant d'œuvres réparties dans l'espace d'exposition par la suite. Deux gradins qui se répondent de part et d'autre de l'exposition sont dos à la course et aménagent un nouveau point de vue sur les œuvres.
Welcome to Suicide Club
L'univers référentiel de Dejode et Lacombe est constitué de jeux vidéos et d'ordinateurs, de séries B et de grand cinéma, de science-fiction et de littérature classique, d'art et de skate... Encore une manifestation d'un art cool et pop, une application sans invention des préceptes de l'esthétique relationnelle ? Non, la relation proposée au spectateur est piègieuse et le parc est bien plus pervers et cynique que ce qu'il laisse entrevoir au premier regard. Ce qui retient l'attention chez eux, c'est l'inépuisable imagination et sa mise en forme doublée d'une formidable énergie qui rend tout possible, même déplacer des montagnes.