Alors que d'autres préféreraient l'envelopper dans un discours conceptuel, Didier Tallagrand revendique haut et fort la qualité de "peintre de paysage". S'il considère ce genre comme l'expérience d'une mise en scène de la nature, il est surtout pour lui l'occasion d'une réflexion sur le phénomène de la peinture et ses constituants. Le paysage est employé par lui non comme simple motif mais tout à la fois comme prétexte et comme justification à faire encore aujourd'hui des tableaux. L'usage qu'il fait de la soie noire comme support et de la poudre de graphite comme médium l'amène à constituer des images insolites dont la première vue intrigue, tant elles paraissent refuser de s'offrir à voir. Les peintures de Tallagrand présentent en effet une surface moirée, comme une espèce de trou noir complètement aveugle, qui réclame du spectateur curieux de savoir ce qui s'y trame, l'effort d'une participation en quête du bon angle.

Cet effort est d'autant plus grand à fournir qu'entre le support et le matériau, Didier Tallagrand cherche à atteindre la plus complète osmose, portant à son comble tant la dissipation de l'image que le rétrécissement de l'espace. Son art, qui n'est pas sans chercher à mettre en évidence ce qu'il en est d'une "origine de la vision" (Catherine Grout), procède d'un véritable réapprentissage, sinon d'une réhabilitation, du voir. Ce faisant, il excite non seulement le statut de voyeur du regardeur tout en vérifiant à la lettre la formule duchampienne, mais il place la question du point de vue, posée de façon phénoménologique, au cœur même de son travail.