Frédéric Houvert
Dossier mis à jour — 03/03/2022

Textes

Bonjour Mr Houvert !

Entretien avec Hugo Pernet
In Frédéric Houvert, monographie réalisée à l'initiative et avec le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, Éditions deux-cent-cinq, Lyon, 2021

Hugo Pernet : Salut Frédéric. Je sais qu'en ce moment c'est compliqué pour toi de travailler. Tu aménages ta maison et ton nouvel atelier et t'occupes de tes filles. Mais justement j'ai l'impression que le fait d'avoir une maison, un jardin et des animaux a un rapport avec ta peinture. Le monde végétal et animal est-il le sujet de tes tableaux ? On dirait que tu pars de l'art décoratif pour revenir vers l'origine de ces motifs.

Frédéric Houvert : Bonjour Hugo. Oui, nous venons de déménager à la campagne. Comme beaucoup de peintres, j'ai eu envie de vivre avec mon sujet. J'ai l'impression que pour moi, et j'ai mis longtemps à le comprendre, le sujet est la Nature. L'ornement a été une façon d'entrer plus facilement et de trouver des moyens d'exécution simples, et aussi une compréhension plus rapide de ma peinture par le monde de l'art. On cherche tous un moyen historique pour commencer, comme ces écrivains qui commencent leur livre par une citation.

H.P : Un certain nombre de peintres ont construit leur sujet pour y avoir accès de manière permanente et pratiquement sans contrainte. Je pense aux bassins de nymphéas et au pont japonais de Monet. En ce qui te concerne, les outils que tu utilises, en particulier les pochoirs, semblent te donner un équivalent formel de ces motifs aménagés. Mais si les sujets et la technique sont toujours les mêmes, qu'est-ce qui te donne envie de faire une nouvelle peinture ?

F.H : Plus que l'outil, c'est la compréhension de la forme qu'il crée et la capacité de cette forme a suggérer le sujet. Quand je fais un nouveau pochoir, j'aime l'utiliser. La forme que me donne le végétal va suggérer le reste de la peinture, un peu comme dans un bouquet. Il y a d'abord le Lys, et on construit le bouquet autour.

H.P : Ah, donc tu fais de l'Ikebana ? Tu t'intéresses aux conceptions asiatiques de l'art ?

F.H : Quand j'habitais en Corée du Sud, j'étais particulièrement intéressé par une partie de leur histoire qui se situe bien avant l'invasion japonaise : la première période Joseon. Pendant cette période, les peintres vivaient détachés d'un marché et travaillaient pour instruire le peuple ; la pression religieuse n'était pas trop importante, ce qui a facilité une peinture beaucoup moins figurative et plus légère. Les peintres cherchaient moins un sujet qu'une forme, le travail sur papier participant aussi à la liberté du tracé.
Dans la période d'après guerre (à partir des années cinquante), la peinture coréenne a considérablement changé, et la Corée est certainement devenue le pays asiatique le plus intéressant dans ce domaine. Avec plusieurs mouvements comme Dansaekhwa, qui dès les années soixante propose une peinture extrêmement radicale. L'histoire de l'art a mis longtemps à se rendre compte de l'importance de ce groupe...

H.P : James Abbott McNeil Whistler (j'aime bien citer son nom en entier) organisait des expositions qui étaient un peu des réceptions. Il choisissait la couleur des rideaux, la tenue des serveurs, la couleur du cocktail et bien sûr celle des bouquets de fleurs. Par ailleurs, il donnait des titres comme "Arrangement en gris et noir" ou "Arrangement en noir et or". Il plaidait clairement pour le formalisme en choisissant de ne pas mentionner le sujet du tableau. Est-ce que cette question du formalisme te paraît encore une problématique actuelle ? En l'occurrence, qu'est-ce qui différencie "l'art pour l'art" de la décoration ?

F.H : J'ai l'impression que les peintres ont digéré cette problématique, en partie mise en lumière par un artiste comme Marc-Camille Chaimowicz. La position de Whistler était extrêmement intéressante pour l'époque. Vouloir mettre en avant un agencement de couleurs et non un sujet. Dans ma peinture, le sujet n'est souvent qu'un prétexte à peindre et les formes établies par mes pochoirs me permettent de ne pas rentrer dans une réflexion trop lourde. J'essaie de réduire au maximum les problématiques formelles : les couleurs sont choisies sur un nuancier BTP, la peinture se construit d'abord comme un choix de couleur et de formes.

H.P : Alors que ton travail paraît très poétique, ton approche est paradoxalement vraiment pragmatique. J'ai l'impression que les formats, les couleurs (et leurs noms qui deviennent des titres), les formes délimitées par les pochoirs (plantes, serpents, poissons), les outils (le pinceau ou le spray) commandent à ta pratique. Est-ce que tu sens que tu vas dans une direction ou est-ce que tu te laisses conduire ?

F.H : Souvent j'ai en tête une couleur ou un format associé à une forme, pensés pour une série ou une exposition. Mais le résultat se crée par la peinture. J'aime suggérer une nouvelle image grâce au dessin préétabli du pochoir, le tremblement d'une couleur sur une autre va me permettre de remettre en question l'image que j'avais en tête. J'ai plus l'impression de me laisser conduire.

H.P : Je trouve toujours très mystérieux ce processus chez les peintres. Il n'y a pas les idées d'un côté et les œuvres de l'autre. Tout est superposé comme des ombres sur un mur. Il y a ce qui est sous contrôle et ce qui reste ouvert. Ton univers est vraiment contemplatif, éthéré, précieux parfois, et en même temps si on regarde les outils que tu utilises, on est dans le monde de la décoration d'intérieur. Quand tu parles du « tremblement d'une couleur sur une autre », ton sujet n'est plus la nature, mais la peinture. J'ai parfois le sentiment que ta peinture est dénuée d'intention. Ou est-ce que ce sont des intentions qui ne se formulent pas par des mots ?

F.H : Je ne sais pas si elle est dénuée d'intention, disons qu'elle m'aide à comprendre, comme si j'avais un casque qui lit dans mes pensées. Elle me surprend, on est dans un dialogue perpétuel. Comme dans Her 1, je ne sais pas si c'est elle qui fait ce que je veux ou elle qui me dicte ce que j'ai à faire.

H.P : Ah oui. Comme une sorte d'application avec laquelle on est en interaction. C'est une idée assez expérimentale de l'art finalement.

F.H : Une application créée à la préhistoire alors. Tu connais la série The Queen Gambit ?

H.P : Non je ne connais pas.

F.H : Sur une joueuse d'échec. L'art pour moi est fait d'expérimentation et d'échec.

H.P : Je vois la série dont tu parles mais je ne l'ai pas regardée. Tu parles de l'échec en tant qu'insatisfaction ou de l'idée de mettre en échec ?

F.H : Cette série parle d'une joueuse d'échecs, le début de son apprentissage met l'accent sur le fait de rejouer les parties des grands joueurs (comme on copie les maîtres) et la fin sur l'aspect instinctif du jeu. Les influences, et le travail qu'il y a à faire pour s'en libérer. Les stratégies pour arriver au tableau fini.

H.P : En même temps ton travail n'a jamais vraiment ressemblé à celui d'autres peintres. Au départ on sent l'influence de Christopher Wool, avec les pochoirs et les coulures. On pense aussi à Cy Twombly, mais sans la grandiloquence. Tu donnes l'impression d'avoir mis une distance assez grande entre toi et l'histoire de l'art.

F.H : Oui ce sont les principales influences que j'ai eues. Il m'a fallu un peu de temps pour les digérer. Je pense qu'arrivé à une certaine période, l'intérêt principal et l'obsession est de peindre, et pas d'arriver à reproduire l'idée ou le sentiment qui nous a conduit à la peinture.

H.P : Cela me fait penser à la phrase de Cézanne « Je vous dois la vérité en peinture ». C'est une lettre à Émile Bernard et quand il écrit cela, il veut dire par là que le langage ne peut décrire un territoire qui est celui de la peinture. Donc par l'expression « en peinture » il veut dire « en pratique ». Il y a cette idée de territoires qui ne se recoupent pas totalement. Tu as organisé des expositions en Franche-Comté, à Mouthier-Haute-Pierre. Exposer le travail des autres, c'est une manière de prolonger ce dialogue sans les mots ?

F.H : J'ai toujours aimé inviter et organiser des expositions.

H.P : C'est juste une manière de se croiser sur le chemin alors ? Bonjour, Monsieur Courbet !

F.H : Ce qui est intéressant à Mouthier, c'est l'espace de la Black Box. J'ai repeint les anciennes cuisines de ce manoir avec une couleur noire créée pour le nuancier Chromatic. Ce qui me plais est l'absence de volume produit par le noir, comme dans certains tableaux de Matisse : on a l'impression que les tableaux sont suspendus dans l'espace. Montrer de la peinture dans ce lieu paraissait évident, car il se situe dans la vallée de la Loue, tout près du musée Courbet.

H.P : Ce qui me fascine chez Courbet, qui est quand même un peintre assez étrange, c'est sa manière de peindre la neige. La facture de ses tableaux, quand elle mime celle des rochers ou de la mousse, est une espèce d'encodage reconnaissable entre mille. Mais ce qui est étrange, c'est qu'il peint la mer de la même façon. La réussite de ses tableaux a l'air de dépendre du degré d'imprégnation de la chose en lui. Avec tes pochoirs et tes couleurs, j'ai la sensation que tu maintiens à distance ce genre de naturalisme, mais qu'en même temps tu crées un code qui construit un monde tangible, comme le décor d'un jeu vidéo.

F.H : Comme De Vinci avec son sfumato.

H.P : Oui le sfumato, très vrai.

F.H : Un décor oui, virtuel je ne sais pas. Je trouve fascinantes les personnes qui arrivent à s'approprier ce qui les entoure pour en faire autre chose, comme le concert de Travis Scott sur Fortnite 2. Fascinant.

H.P : Je veux parler d'un territoire justement. Quelque chose qu'on peut arpenter. Les rappeurs se rapprochent de Tolkien dans un sens. Quand on voit un de tes tableaux, on comprend qu'il fait partie d'un tout.

F.H : Le hip-hop et Tolkien c'est comme Wool et Twombly, deux choses très importantes pour moi. J'aime l'idée d'être absorbé dans un monde et un travail. Une singularité complexe propre à chaque individu. Parfois, c'est incompréhensible et ça paraît sans complexité, mais quand on commence à s'y intéresser ça regorge de mystères.

H.P : J'adore quand une œuvre se situe entre art et divertissement (ou art et décoration, dans le cas de ta peinture). C'est souvent le signe d'une grande compréhension du monde, et aussi d'une forme d'empathie.

F.H : Merci Hugo. Je vais chercher mes filles dans dix minutes. Toi aussi ?

H.P : Non, à 16h50.

  • — 1.

    Film de Spike Jonze (2013) dans lequel un personnage en manque affectif (Théodore Twombly !) s'éprend de la voix d'une application virtuelle.

  • — 2.

    Jeu vidéo en ligne édité par Epic Games (2017). Travis Scott est un rappeur américain, son live sur Fortnite, le 23 avril 2020, en plein confinement, a réuni plus de 12,3 millions de joueurs. D'une durée de huit minutes, on pouvait y voir un avatar géant du rappeur interprétant ses titres dans des décors de parcs d'attractions en flammes, de mondes aquatiques et de cieux étoilés.

Des fantômes picturaux ou poétiques

Par Vincent Romagny, 2020
In Frédéric Houvert, monographie réalisée à l'initiative et avec le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, Éditions deux-cent-cinq, Lyon, 2021

Contre la lassitude

Par Hugo Pernet, 2017