Textes
Un parcours semé d’indices
Par Gaetano Gaétan, 2008
Un parcours semé d’indices
Par Gaetano Gaétan, 2008
Depuis la série inaugurale J'ai peur en 1993, Géraldine Kosiak déploie un enchaînement d'ensembles et sous-ensembles, dessins et photographies réalisés comme autant d'enquêtes intuitives. Les faits et personnages réels – la construction d'une autoroute, son grand-père, la chasse, un ouvrier japonais, des truites, la salle d'une bibliothèque, l'Antarctique – sont représentés avec une minutie qui trahit la précarité de ces réalités contiguës. Sous une apparente harmonie, ses images semblent peuplées de fantômes en devenir. En résulte un plaisir inquiet.
Avant d'être un livre, J'ai peur fut une chose curieuse, exemplaire unique fabriqué à la main, comme peuvent l'être un tableau ou une sculpture. Dans la plus grande discrétion, Géraldine Kosiak réalisa les dessins, écrivit les phrases, puis choisit le papier (bouffant), le format (carré), découpa l'ensemble et le relia, bref, à la fin J'ai peur était devenu un livre.
La plupart de ses projets démarrent à partir d'une phrase, qui devient également le titre de l'objet conçu. Il en va ainsi de Mon grand-père (1998), ou Avec l'âge (2008). Chaque fois, le titre agit comme un panneau indicateur. Il désigne tout à la fois une direction, un parcours, un état, une contrainte ou une posture. Vus sous cet angle, ses titres prédisent l'avenir.
« J'ai peur de ceux qui abandonnent leur chien » écrivait-elle en 1995. Ses pérégrinations sont celles d'un animal – entre chien et loup – qui parle peu et finit par se fondre dans le décor. Par goût, mais stratégie également, car sa manière nécessite la discrétion. On retrouve ce mode d'observation irraisonnée dans les suites photographiques Monterrey stéréo (2004) et Japon, 206 vues (2006/2007). Une invention perpétuelle du paysage capturé et le sentiment qu'il nous échappe.
Le quotidien est fragmenté, jonché de notations subtiles. Un rapprochement s'établit avec les livres de Georges Pérec ou les Notes de chevet de Sei Shonagon qui, vers l'an 1000 à la cour impériale du Japon, inventa une forme de poésie listée. Géraldine Kosiak aime les classements. Catalogués (2004) présente ainsi les pages d'un inventaire personnel et infini, mais ses classeurs semblent tourner sous l'effet de boussoles affolées.
Elle met sur le compte de la dyslexie une sensibilité à ordonner les choses, les genres et les moments. « Je n'ai aucun souvenir d'enfance. » dit-elle avec un brin d'ironie, et encore : « Mon travail n'a rien de nostalgique. » On peut ajouter la logique et le rendement à cet anti-portrait.
L'appareil photographique, le Rotring, la gouache, chacune des méthodes utilisées ici requiert patience et application, et il semble que le temps consacré au travail soit lui-même incorporé aux formes produites par l'artiste. Ainsi Blue dragon (2007/2008), une série de dessins au trait, délicatement colorés, poursuit-elle la traversée d'un Japon onirique et revisité, au sens propre. Fragilité et précision des figures en renforcent la présence paradoxale.
Le temps encore, plus que jamais à l'œuvre dans les grands formats réalisés à la gouache, les bien nommés Échos (depuis 2004). Plusieurs personnages (homme oiseau, belette, danseuse, cochon d'Inde...) inscrits dans une nature choisie et accompagnés de slogans littéraires tels que : « Je me tourne pour vous regarder en face. Je tourne ma tête et vous parle franchement. »
L'artiste regroupe volontiers ces peintures sous l'intitulé Affiches. Elles en possèdent en effet le format, le magnétisme, l'accroche typographique, les aplats de couleur et les formes cernées de noir. Mais il s'agirait d'affiches dont la fonction et la signalétique seraient détournées à d'autres fins. Tout ici est affaire de retour, de réapparition, de delay, selon la terminologie musicale. Phrases et images en cut-up bâtissent le tableau au creux duquel la mémoire vient se blottir, malgré soi. Les Échos de Géraldine Kosiak s'accordent parfaitement à cette définition de Clément Rosset : « L'écho est mon écho, certes, mais je traîne un peu à m'y reconnaître. » 1
VARIATIONS
De quelques réflexions à partir des livres de Géraldine Kosiak
Par Sylvie Lagnier, février 2013
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Par Sylvie Lagnier, février 2013