Gilles Verneret
Dossier mis à jour — 25/04/2024

Retour à Verdun : les 3 grands pères

Retour à Verdun : les 3 grands pères, 2013-2016
Extrait d'un ensemble d'environ 50 photographies
Argentique, couleur, dimensions variables
texte extrait du catalogue de l'exposition Retour à Verdun, paroles de poilus 1916-2016, École Bloo, Lyon, 2017

Retour à Verdun

"La majorité des familles françaises possèdent un aïeul qui a combattu à la grande guerre, c'est le cas de mes deux grands-pères, que comme de nombreux hommes de ma génération j'ai eu le bonheur de connaître. À la fin des années soixante, ils étaient peu prolixes en paroles sur ce sujet, qui pour moi à l'époque était entouré de brumes.
Mon grand-père paternel Francis Verneret aimait raconter ses missions de reconnaissance au-dessus du front qu'il exécutait comme mécanicien sur des biplans précaires. Il avait vingt ans et son parcours fut interrompu brutalement par la chute de son avion et il termina la guerre à l'hôpital.
Mon grand-père maternel, plus austère et secret, Gilbert Barathon, avait fait toute la guerre sur le front comme sous officier ou sous lieutenant, je n'en garde pas le souvenir précis, et y avait tenu un journal que je pus consulter après son décès. Il y consignait les évènements journaliers des combats, le quotidien des poilus de sa section, l'intendance, et répertoriait scrupuleusement la perte de ses camarades, le nom, la date et les circonstances de chaque tué ou blessé de la garnison sans cesse renouvelée. Je retins que ses compagnons étaient décimés à chaque assaut ou réception d'obus dans les tranchées et que pourtant il survécut quatre longues années pour ne plus en parler, comme si ce souvenir devait rester enfoui dans la boue du champ d'honneur.

Il avait combattu au Chemin des Dames et à Verdun, mais ma grand-mère détruisit son carnet, précipitant dans l'oubli, à mon grand regret, cette page de l'histoire familiale. Son frère, mon grand oncle, fut tué au Chemin des Dames le 11 novembre 1918, jour de l'armistice et naissance de Gilbert, en faisant sauter une mitraillette allemande, ce qui lui valut la croix de guerre posthume, elle aussi égarée dans des déménagements.

En 2013, j'éprouvais le besoin de me rendre à Verdun sur les traces de mes trois grands pères, effectuant le pèlerinage tardif que j'avais toujours repoussé. J'y avais adjoint Guillaume Apollinaire, blessé au bois des Buttes près de Berry-au-bac, le 17 mars 1916, dont j'accolais les mots qui survolent le temps à ceux des poilus pour ne point oublier." G.V.

Si je mourrais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur.

— Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou (extrait), 30 janvier 1915

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