Jean-Xavier Renaud
Dossier mis à jour — 08/12/2020

Textes

JEAN-XAVIER RENAUD. INFECTER L'ŒIL

Par Erik Verhagen
In Jean-Xavier Renaud, Édition Galerie Françoise Besson, Lyon, 2011

Le Stedelijk Museum d'Amsterdam avait organisé en 2001 une remarquable exposition intitulée Eye Infection (infection de l'œil) réunissant les artistes Robert Crumb, Mike Kelley, Jim Nutt, Peter Saul et H.C. Westermann. Le propos et le titre visaient à démontrer que parallèlement au récit officiel de l'histoire de l'art américain des années 1960 – la voie royale moderniste-minimaliste – s'étaient développées des trajectoires singulières (l'œuvre de Kelley s'affranchissant de ce cadre chronologique), réfractaires au culte d'une « opticalité » affiché, entre autres, par le critique Clement Greenberg et l'artiste Donald Judd. Les trajectoires en question n'étaient en outre pas assimilables à un Pop Art, trop lisse et propret. En d'autres mots, ces artistes n'avaient pas leur place au sein d'une histoire de l'art fortement compartimentée, voire ghettoïsée. Mais ne pouvaient pas non plus être relégués dans la case de l'Art Brut. Et ce en dépit du fait qu'un créateur hors-normes comme Henry Darger aurait pu en toute légitimité être associé à ce projet d'exposition.

Eût-il été américain et eût-il travaillé dans les années 1960, il en aurait été de même de Jean-Xavier Renaud. Or, d'une certaine manière, la place qui lui échoit aujourd'hui dans le paysage et la vie artistiques français n'est pas sans évoquer celle, en leur temps, des artistes précités. La « vie artistique », Renaud ne s'en soucie néanmoins guère, le spectacle permanent offert par cette dernière ne remplaçant en rien « un bon footing dans les bois avec mes chiennes ou l'observation d'un putain de lichen » 1.

On l'aura compris, Renaud n'est pas un adepte de la théorisation. Son ambition est effectivement autre, à la fois modeste et incommensurable, Renaud cherchant à « observer et rendre compte de ce qui se passe » et à retranscrire ses observations par le biais d'une panoplie stylistique et technique d'une grande diversité. Exprime-t-il pour autant ses points de vue ? Non, du moins pas exclusivement, car à l'image des écrits de Michel Houellebecq ou des dessins de Raymond Pettibon, plasticien auquel on serait tenté de le comparer, nous sommes confrontés chez Renaud à un propos polysémique où différentes voix s'enchevêtrent, l'éventail de factures et de thématiques sur lequel il s'appuie étant symptomatique de ce brouillage de pistes et télescopage d'opinions dont l'artiste s'est fait le porte-parole.

Résumer son œuvre relève d'une mission impossible. Généreuse et protéiforme, elle innerve un champ iconographique et, comme nous l'avons précisé, stylistique des plus étendus où la part accordée à la sexualité n'est pas des moindres, l'artiste se pliant là aussi, dans une perspective mimétique et réfléchissante, à l'hyperconsommation et banalisation de la chose sexuelle et pornographique telle qu'hypertrophiée par les (plus si) nouveaux médias. Le Web et l'univers des jeux vidéo, sans oublier la BD, constituent à ce titre des sources d'inspiration primordiales pour l'artiste. « Je joue beaucoup aux jeux vidéo et après je dessine. Je suis un gamer [...] Il y a un aspect que les gens connaissent peu de mon travail, c'est que j'ai suivi toute l'évolution de la représentation graphique sur ordinateur. Ainsi, tu vois comment, avec l'avancée des possibilités techniques, le mode de représentation change, et quels choix font les concepteurs ou le programmateur. Ça me fascine. Je pense que mes images sont très influencées par ces données, dans le sens où je m'autorise des représentations simples. Une tête, c'est trois points, il n'y a pas besoin de plus. C'est un langage comme un autre, je peux aussi l'utiliser. Qu'est-ce que j'en ai à branler à partir du moment où ça sert mon idée ! ».

Le catalogue d'œuvres de Renaud comprend des natures mortes et des paysages, des scènes de genre et des « portraits » sans oublier de rares compositions abstraites. Selon les cas, l'artiste associe les images à du texte. Le registre peut être « sérieux », notamment dans les paysages, mais relève le plus souvent du calembour, du propos scabreux, du détournement et d'un humour potache qui évoquent la néo-comédie américaine, tendance frères Farrelly, Will Ferrell et l'excellente série Eastbound and down, dont l'univers et l'atmosphère rappellent, à bien des égards, le monde selon Renaud. Monde étrange où l'on rencontre un butteur de patates et Bernadette Soubirou, un brame à poutre et une énigmatique double salope on the rocks close to the scie. C'est d'une crétinerie absolue et totalement régressif. Mais cela a l'immense avantage de nous infecter un œil qui en avait grand besoin.

  • — 1.

    Cette citation comme les suivantes est extraite de l'entretien de Jean-Xavier Renaud avec Julien Kedryna, Collection #2, 2011.

LE LICHEN

Par Marc Desgrandchamps
In Jean-Xavier Renaud, Édition Galerie Françoise Besson, Lyon, 2011

MÉTÉORITES ET AUTRES CORPS TERRESTES

Par Fabrice Hergott
In Dorothéa von Stetten Kunstpreis 2008, catalogue de l'exposition, Kunstmuseum, Bonn, 2008

DIOGÈNE DE WOIPPY

Par Jean-Xavier Renaud et Maxime Hourdequin
In Dynasty, catalogue de l'exposition, Palais de Tokyo / Musée d'art moderne de la Ville de Paris, Édition Paris Musées, 2010

Autres textes en ligne