Textes
Statement
Par Lucas Zambon, 2025
Statement
Par Lucas Zambon, 2025
La lisière entre la photographie et la peinture
Par Yves Cadet, bibliothécaire chargé des collections photographiques à la Bibliothèque municipale de Lyon
In Aux lisières, catalogue d'exposition, Fondation Renaud, Lyon, 2024
La lisière entre la photographie et la peinture
Par Yves Cadet, bibliothécaire chargé des collections photographiques à la Bibliothèque municipale de Lyon
In Aux lisières, catalogue d'exposition, Fondation Renaud, Lyon, 2024
Contrairement à la notion de frontière qui suggère l’idée de fermeture entre deux espaces, la lisière évoque plutôt celle d’un passage entre les confins d’un espace et le commencement d’un autre.
L’histoire des relations entre la peinture et la photographie commence avant même la découverte de cette dernière. Cela semble paradoxal, mais l’idée de photographie naît chez les peintres, bien avant les premières expérimentations de Nicéphore Niépce au début du XIXe siècle. L’origine de la photographie s’appuie en effet sur deux phénomènes, optique et chimique, connus depuis l’Antiquité : le premier de ces phénomènes est associé à un instrument optique appelé la camera obscura : il suffit de percer un petit trou dans une boîte pour voir apparaître à l’intérieur une image inversée de la scène extérieure située à proximité. Le deuxième phénomène, chimique, est relié à un savoir ancien : les alchimistes avaient depuis longtemps observé que la lumière du soleil noircissait le chlorure d’argent. Il fallut néanmoins attendre le XIXe siècle et le daguerréotype (naissance de la photographie) pour conjuguer les deux phénomènes et ainsi fixer sur une surface sensible et de manière permanente une image de la réalité.
Depuis la Renaissance, les peintres ont utilisé la camera obscura notamment pour la perspective. Pour tracer ses vues de Venise, Canaletto1 utilisait systématiquement cet instrument.
Lorsque l’invention de la photographie est annoncée à l’Académie des sciences de Paris par François Arago2 en 1839, la réaction du public est enthousiaste mais personne ne mesure, à ce moment là, l’ampleur des répercussions qu’allait entraîner ce nouveau mode d’enregistrement du réel sur la création picturale et les Beaux-Arts en général.
Dans les deux premières décennies qui ont suivi son invention, la photographie fait l’objet de critique de la part du monde de l’art qui exprime sa crainte de voir la main remplacée par la machine. Certains peintres s’emparent pourtant de la photographie pour renouveler leur inspiration alors que celle-ci est encore loin d’être considérée comme un art. Elle sera même en partie à l’origine d’une révolution dans la peinture : puisque la photographie permettait désormais de reproduire mécaniquement le réel, les impressionnistes ont proposé de représenter, par la juxtaposition des touches de peinture sur la toile, non le réel lui-même, mais la façon dont l’œil perçoit le réel. Cette nouvelle manière de peindre a permis à la peinture de s’affranchir de son devoir d’imitation de la réalité – ce que la photographie pouvait dorénavant parfaitement réaliser – et de traduire l’expérience de la vision.
De leur côté, en quête d’un statut artistique pour leur médium, des photographes fondent en 1890 aux États-Unis, un mouvement qui va s’internationaliser, le "Picturialisme". Ses représentants entendent conférer à l’image photographique les qualités traditionnellement rattachées à la peinture (l’expressivité et la subjectivité de l’auteur) afin d’en faire une discipline artistique reconnue. Quelques années plus tard, les dadaïstes, à l’inverse, se serviront de la photographie pour remettre en cause l’aura de l’œuvre d’art. Man Ray en fera, lui, un puissant médium du surréalisme.
Les conflits liés à son statut par rapport à l’art s’estompent dans le courant du XXe siècle au fur et à mesure qu’elle affirme son autonomie vis-à-vis des autres formes artistiques. Plusieurs mouvements, qui lui sont spécifiques, apparaissent et se succèdent, mais son rôle documentaire reste prépondérant. Puis viendra sa consécration par les musées qui restera néanmoins, jusqu’à la fin des années 70, circonscrite à la photographie classique.
Bien qu’un consensus était établi sur la reconnaissance des mérites esthétiques de la photographie avant les années 70, c’est à partir de la fin de ces mêmes années qu’elle commence à s’imposer dans les propositions et les débats artistiques.
Les prémisses de cette fusion avec l’art sont à l’œuvre dans les travaux des photographes qui ont fondé l’École de Düsseldorf et la photographie objective mais aussi dans le Pop Art et l’art conceptuel qui utilisaient la photographie comme un matériau parmi d’autres. L’un des premiers à hisser la photographie sur le devant de la scène contemporaine de l’art reste, sans conteste, le canadien Jeff Wall. Dès le début des années 80, s’inspirant des grands classiques de la peinture moderne, il réinvente la photographie documentaire et bouscule notre perception de la réalité.
L’avènement du numérique et des logiciels de traitement d’image entérine son adoption définitive par l’art au point d’en faire le médium privilégié des artistes devant la peinture.
Aujourd’hui, pour rendre compte de la complexité du monde, certains artistes conçoivent des œuvres qui mêlent photographie, peinture, mais aussi vidéo, sculpture et installations.
Lucas Zambon fait partie de cette génération d’artistes. Dans son exposition Aux lisières, les peintures et photographies se présentent comme les éléments d’une grammaire visuelle qui interagissent pour, déclare-t-il, "insuffler au réel l’imaginaire du récit et de la fiction".
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— 1.
Giovanni Antonio Canal (1697 - 1768), plus connu sous le nom de Canaletto était un peintre vénitien reconnu pour ses vedute, "vues/panoramas" en français.
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— 2.
Dominique François Arago (1786 - 1853), astronome, physicien et homme d’État français. Il soutient le daguerréotype mis au point par Louis Daguerre.