Lucy Watts
Dossier mis à jour — 05/03/2019

Textes

Texte de Serge Héliès et Lucy Watts

2015

Texte de Françoise Lonardoni

Pour l'exposition Sketch in, sketch out, en duo avec Ludovic Paquelier, Espace arts plastiques Madeleine-Lambert, Vénissieux, 2015

Texte de Anaël Pigeat

Pour le catalogue du 57e salon de Montrouge, 2012

Texte de Didier Semin

Pour le catalogue de l'exposition Notes de bas de page, Centre d'art La Conciergerie, La Motte-Servolex, 2011

Lucy Watts, comme son patronyme le laisse à entendre, a des origines anglaises ; elle est aussi fondatrice et, jusqu'à plus ample informé, seule militante inscrite de la SFPHBIA (Society For Putting Back Humour Into Art, "Société pour la réintroduction de l'humour dans l'art"). Sans doute n'en faut-il pas plus pour qu'on la range sur une de ces étagères qu'aiment tant les historiens et les critiques, celle qui est estampillée : "Nonsense britannique". Cela ne serait bien entendu pas totalement injustifié, et ses dessins revendiquent en effet une tradition qui va d'Edward Lear et Lewis Carroll à Glen Baxter ou David Shrigley.
Mais il faut prendre garde à ne pas donner trop de place aux déterminismes nationaux (Saul Steinberg, l'artiste emblématique du New Yorker, qui publie Glen Baxter, n'est-il pas né en Roumanie ?), et surtout à ne pas faire disparaître les individus dans les procédures de classement. L'absurde de Lucy Watts n'est ainsi pas ancré, comme celui de ses illustres prédécesseurs, dans les seuls paradoxes de la logique, ou des jeux de langage : il est toujours directement tiré de la vie quotidienne propre à la première décennie du XXIème siècle, dont il faut bien reconnaître qu'elle offre un matériau très riche - un nonsense à l'état natif, pourrait-on dire. Lucy Watts le débusque dans les journaux (qu'elle épluche avec l'esprit de Félix Fénéon dépouillant les dépêches de presse pour en extraire ses merveilleuses "nouvelles en trois lignes"), sur les emballages des produits alimentaires, les affiches publicitaires, dans les sondages...
Elle pastiche avec une volupté toute particulière les représentations graphiques de données statistiques, qui pullulent depuis que l'informatique les a mises à la portée de tout un chacun : on éclate évidemment de rire devant ses diagrammes exubérants, mais aussi devant la simple transposition de statistiques existantes, comme celle du taux d'élucidation des crimes par la police. Est-ce à dire que la non élucidation des délits porte à rire ? Aucunement, ou seulement dans la mesure où l'humour est la façon polie de dire les choses les plus graves : ce que fait le trait de Lucy Watts, admirable de feinte désinvolture, c'est retirer aux informations retranscrites l'autorité de la chose impeccable et de la géométrie ordonnée, qui nous empêche bien souvent, par réflexe, de nous étonner de l'absurdité des informations transmises, quand ce n'est pas de leur caractère vertigineusement désespérant ("La 35ème Babybox a été installée au début du mois d'avril. Dans ces boîtes encastrées dans les murs, les parents peuvent déposer leurs nouveaux-nés quand ils ne veulent ou ne peuvent s'en occuper").
En attirant dans la dimension apparemment désuète du fait-main les images lisses produites à foison par les ordinateurs, Lucy Watts les met à distance, et pose des questions bien moins anodines qu'il y paraît. La banalisation des présentations Powerpoint n'est-elle pas en train de construire dans les têtes une logique d'associations visuelles rudimentaires, qui se substituerait aux mécanismes critiques de l'observation et de la déduction ? Google a-t-il vraiment réponse à tout ? Doit–on lui demander d'où nous venons et où nous allons ? C'est peut-être à des artistes comme Lucy Watts, qui continuent de voir avec leurs yeux et de penser un crayon à la main, que nous devrons un jour de ne pas nous retrouver propulsés, sans avoir eu le temps de dire ouf, dans Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, dépossédés de nos facultés critiques les plus élémentaires. "Ce que je n'ai pas dessiné, je ne l'ai pas vu" écrivait Goethe dans ses carnets de voyage en Italie. Pas drôle, dira-t-on, comme devise pour le papier à en-tête de la SFPHBIA ? Admettons. Mais je suggèrerais volontiers à Lucy Watts une fusion/acquisition de son groupe avec la SPLRDDDA, "Société pour la réintroduction du dessin dans l'art", dont je ne doute pas qu'elle soit prochainement créée par tous les désespérés de Microsoft.