Richard Monnier
Dossier mis à jour — 28/01/2025

Les cubes ont des racines (position)

Les cubes ont des racines (Position), juillet 2014
Texte extrait du cahier Dispositions, 2023

"À la vérité, rien n'est plus futile que de nous occuper de simples nombres et de figures imaginaires, à tel point que notre volonté paraisse se satisfaire dans la connaissance de pareilles bagatelles". Plus de trois siècles après ce jugement de Descartes extrait de son livre intitulé Règles pour la Direction de l'Esprit, je me charge de réactiver, de réactualiser ce qu'il appelle des "bagatelles".

Les dessins et les sculptures que j'intitule Les Cubes ont des Racines, sont construits point par point, ligne après ligne, surface après surface, sans tirer les bénéfices de cette capacité qui permet aux esprits "perspicaces" selon Descartes, de se représenter spontanément une figure sans avoir à en reconstruire mentalement les différentes parties. Élément après élément, je construis un cube qui, contrairement aux figures que le philosophe "peut voir par intuition", n'est pas pour moi "quelque chose d'un et de simple" . Soit une ligne de 10 unités numérotées de 1 à 10, soit un carré fait de 10 lignes de 10, chaque unité étant alors numérotée de 1 à 100, soit un cube fait de 10 carrés superposés, chaque unité étant numérotée de 1 à 1000 ; je repère à l'intérieur de ce cube, les unités qui sont les cubes des 10 premiers nombres entiers : le 8, le 27, le 64, le 125, le 216, le 343, le 512, le 729, le 1000 et je trace un trait qui les relie entre elles. J'appelle cette ligne la racine du cube de 10.

En réalisant Les Cubes ont des Racines, non seulement, je ne me représente pas une figure élémentaire intuitivement mais je m'écarte également d'une autre vision qui a fait autorité dans les années 70 avec l'Art Minimal : la forme simple perçue dans son entièreté (wholeness), considérée comme un tout sans hiérarchie entre les différentes parties qui la constituent. Dans Les Cubes ont des Racines, la forme est orientée, développée pas à pas. Avec des cubes en bois, avec du grillage ou aussi bien à l'aide de quelques lignes de code écrites avec l'éditeur Processing, je revisite l'intérieur du cube, forme que d'autres avant moi n'ont cessé de vouloir évider, qu'ils soient convaincus de l'évidence de l'intuition (Descartes) ou de l'évidence de la forme perçue (self-evident- thereness). La pratique de l'informatique enseigne que la forme même la plus élémentaire est générée, produite par des boucles dont il faut régler le pas. C'est dans ces conditions que j'ai été conduit à concevoir des cubes qui poussent par les racines naturellement.