Les voix des fleuves
— septembre 2024
Les saumons sont des poissons anadromes : ils naissent en eaux douces, puis migrent en eaux salées pour revenir finir leurs jours et pondre leurs œufs à l’endroit de leur naissance, traversant ainsi des milliers de kilomètres.
Je les imaginais alors remonter les aquarelles du cours de La Vilaine peintes par Sylvie Sauvageon, d’après les relevés d’origine de 1543. Je les voyais suivre le Rhône et parcourir le même paysage que celui emprunté par Bertrand Stofleth, du glacier des Alpes suisses à la mer Méditerranée.
Je me demandais s’ils pouvaient traverser un cours d’eau plus petit, comme celui longeant le village de Sainte-Colombe-en-Auxois dont Rajak Ohanian dressa le portrait photographique des habitant·es. Je les voyais encore avancer, hésitants mais inlassablement, à la manière de la goutte d’eau du film « 1752 mètres et des poussières… » de Linda Sanchez.
Puis j’ai repensé au documentaire « La Rivière » de Dominique Marchais (2023) dans lequel un chercheur explique qu’au travers d’une minuscule pierre contenue dans l’oreille interne des saumons, composée de couches successives de carbonate de calcium et protéines, il peut entrevoir l’histoire de vie de toute l’espèce.
De quoi serait faite la « pierre d’oreille » humaine et que nous dirait-elle ? Ressemblerait-elle aux fossiles de Gaëlle Foray, composés de schistes sédimentés à une époque où nos montagnes étaient encore sous l’eau ?
Si les roches ont en mémoire l’évolution de notre environnement, quel stigmate sommes-nous en train de laisser ? C’est en partie l’une des questions soulevées par Camille Llobet dans son essai documentaire « Pacheû » sur les traces du changement climatique en haute-montagne.
Dans un autre registre de recherche, Guillaume Robert s’est rendu à Goražde pour reconstruire une mini-centrale hydroélectrique, avec l’aide du mécanicien qui fut à l’initiative de la conception de machines similaires en 1993 durant le siège de l’armée serbe en Bosnie. Sa réactivation mise à l’eau sur la Drina fait l’objet d’un film éponyme. En soulignant la dimension politique du fleuve, il nous rappelle aussi que l’activité humaine est depuis toujours intrinsèquement liée à l’eau.
Avec le projet « Aster », Delphine Gigoux-Martin intervient quant à elle sur un autre type d’ouvrage voué à l’exploitation des cours d’eau, le barrage hydroélectrique de Saint-Étienne-Cantalès. À l’image des chimères projetées par l’artiste sur la construction, nous sommes des habitants éphémères, une couche sédimentée par nos activités sur Terre.
À l’aune de nos contradictions mises à nu, l’œuvre « Midnightswim » de Maxime Lamarche, représentant une épave de Ford Taunus coulant dans l’eau, me revient sans cesse en tête avec cette question lancinante : serait-ce ça, alors, le dernier bain de minuit ?
Proposition de Jade Ronat-MalliéÀ l'occasion de la 17e Biennale d'art contemporain de Lyon, ce parcours présente une sélection d'œuvres faisant écho au titre de cette nouvelle édition : « Les voix des fleuves, Crossing the water ».
— Liste des artistes cités :
- Sylvie Sauvageon
- Bertrand Stofleth
- Rajak Ohanian
- Linda Sanchez
- Gaëlle Foray
- Camille Llobet
- Delphine Gigoux-Martin
- Guillaume Robert
- Maxime Lamarche