Bertrand Stofleth
Dossier mis à jour — 13/10/2022
Recoller la Montagne , 2019-2020 Installation numérique et analogique. Photographies réalisées à la chambre photographique numérique moyen-format. Neuf tirages photographiques, contrecollage dibond, cadre chêne avec rehausse, 90 x 110 cm, deux cartouches de textes, 62 x 74 cm. Trois volumes impression 3D, dimensions variables, vitrines bois et plexiglass, 130 x 30 x 30 cm. Vidéo 3'05, données Lidar, reconductions de flancs de montagne, projection pepper's ghost en caisson, 50 x 70 x 150 cm.
• Voir l'édition Recoller la Montagne , Semaine n°439, une publication d'Immédiats, juillet 2020
I. Cerf d'Europe et bloc de gneiss, Parc Thermal du Fayet, Saint-Gervais - France, janvier 2020 Le 12 juillet 1892, la rupture d'une poche d'eau dans le glacier de Tête-Rousse crée une lave torrentielle qui, en empruntant le cours du torrent de Bionnassay, détruit différents hameaux et les thermes de Saint-Gervais au Fayet. « La catastrophe de Tête-Rousse » cause ainsi la mort de 175 personnes. Les différents blocs de pierre apportés par la coulée torrentielle dans la vallée furent dynamités, mais quelques-uns subsistent encore dont celui sur lequel a été installé une statue de cerf par la municipalité. Ce bronze de Pierre-Louis Rouillard, coulé par la Société des hauts fourneaux du Val d'Osne, est la variante d'une statue réalisée pour le sultan de Constantinople en 1864. La légende rapporte que les animaux avaient fui en pressentant l'arrivée de la catastrophe. Au printemps 2010, une nouvelle poche d'eau sous-glaciaire menace la vallée du Mont-Blanc. Le pompage de la poche fut enclenché en août de la même année afin d'empêcher le risque de rupture du glacier. Depuis l'automne 2019, suite à un petit éboulement, quelques blocs de pierre font face à cet ensemble, de l'autre côté du chemin.
II. Élément de béton et captation d'eau sauvage, Nant Vernay, Saint-Gervais - France, février 2020 Un « nant » désigne en Savoie et en Suisse un torrent dans un vallon encaissé ou une rivière de montagne au débit rapide et puissant. Entre les années 1967 et 1978, la correction du torrent réalisée par le service de la RTM (Restauration des terrains de montagne) s'est faite au moyen de 29 barrages en béton et de 16 seuils de lutte contre le ravinement en béton préfabriqué. Le périmètre de restauration des terrains en montagne de l'Arve, créé en 1898, s'étend aujourd'hui sur plus de 300 hectares. Il inclut tous les terrains où l'érosion constitue un phénomène actif et déclaré.
III. Retenue collinaire, lac artificiel de nivoculture, domaine skiable de Saint-Gervais - France, janvier 2020 Le réchauffement climatique dans les Alpes entraine la baisse de l'enneigement et l'augmentation du recours à la fabrique de neige artificielle appelée « nivoculture » ou « snowmaker ». Outre un coût important, celle-ci demande une production d'électricité accrue exerçant ainsi une pression anthropique supplémentaire sur les hydrosystèmes de montagne. Cette culture provoque un risque d'étiage, car retenue en montagne l'eau ne descend plus en plaine au printemps fragilisant ainsi les écosystèmes aquatiques. En 2018, des canons à neige ont été installé pour la première fois sur un glacier au domaine skiable des 2 Alpes (Isère). La station exploitant le plus grand glacier skiable de France, permettait de skier hiver comme été. Elle a dû fermer pour la première fois depuis sa création en août 2019 faute de neige au sommet du glacier. En France, une station de montagne sur deux est menacée de manquer d'enneigement d'ici 2040.
IV. La Folie Douce, domaine skiable de Saint-Gervais - France, janvier 2020 Pensée à l'image du Lio à Ibiza, cette boîte de jour est installée à près de 2000 m d'altitude au sommet du nouveau télésiège du Mont-Joux, à l'intersection des domaines skiables de Saint-Gervais et Megève. Elle est ouverte en 2015 par une famille de montagnards aussi propriétaires de 7 chalets « fooding-clubbing » dans d'autres stations. Mixant restaurant d'altitude, cabaret et dance-floor à ciel ouvert, La folie douce attire un public international de plus en plus nombreux en attente de nouveaux loisirs en haut des pistes.
V. Moraine Pillier des Drus, Mer de Glace, Chamonix - France, février 2020 Une « moraine » désigne en géographie physique un amas de blocs et de débris rocheux entraînés par le mouvement de glissement d'un glacier qui apparait lors de son retrait. Entre 2010 et 2020, plus de 68 000 m3 de moraine se sont ici effondrés. Symptôme du réchauffement climatique, la fonte des glaciers produit des déstabilisations de versant, tout comme la dégradation du permafrost qui cimente les parois rocheuses en haute montagne. Dans l'arctique, cette dégradation du permafrost libère le méthane contenu dans les sols, ce qui accélère encore la hausse des températures, la fonte des glaciers et la dégradation du permafrost...
VI. Piste de ski du Kandahar, Les Houches - France, février 2020 Piste aménagée pour le Championnat du monde de descente à ski en février 2020. Cette commande de la fédération internationale de ski est réalisée afin d'élargir et d'améliorer la raquette d'arrivée de cette piste noire nommée la « Verte des Houches ». Ce chantier d'un montant de 10 millions d'euros à 1 000 mètres d'altitude a lieu alors que la pratique du ski y est condamnée à court terme. De plus, la disparition progressive d'épisode de gel rend obsolète la solution transitoire de recours à l'enneigement artificiel. Enfin, le terrassement coupant les sapins qui donnaient son nom à cette piste détruit les écosystèmes et altère les fonctions d'épuration des sols de basse montagne.
VII. Falaises et filets par-pierres, Les Houches - France, février 2020 La Route Blanche qui relie Passy au tunnel du Mont Blanc. Elle est bordée de falaises constituées de barres rocheuses de schistes et de gneiss. Lieu d'importants éboulements rocheux et de chutes de blocs, les parois rocheuses sont recouvertes de grillages et filets par-pierres. Cette route qui longe la vallée de l'Arve est devenue le territoire le plus pollué de France aux particules fines en hiver.
VIII. Carrières, chemin des Sablières, les granges de Passy - France, février 2020 Carrières le long de l'Arve en contrebas du village de Passy, situées sous les montagnes bordant le désert de platé, un des plus grands Lappiaz d'Europe. Gravières issues d'extraction de matériaux — dont une partie pour la construction de l'autoroute blanche — formant un paysage artificiel qui au fil du temps, est reconquis par la végétation et la faune. Depuis le début des années 1970, le volume des sables transportés par les fleuves au cours des millénaires passés est inférieur au volume déplacé par l'homme depuis les vallées pour la réalisation d'ouvrages en béton, plaçant ainsi l'espèce humaine comme agent géologique majeur.
IX. Belvédère du Montenvers, Mer de Glace, Chamonix - France, février 2020 Les 12 et 13 février 2020 le président de la République française, Emmanuel Macron se rend à la Mer de Glace et rencontre des glaciologues et écologues. Il annonce à Saint-Gervais un arrêt de « protection naturelle » afin de lutter contre les usages contrevenant au respect de la nature en montagne : surfréquentation touristique et incivilités, trafic automobile et poids lourd ou encore, la pollution par le chauffage. On estime aujourd'hui que la Mer de Glace recule de 8 à 10 mètres par an. La température moyenne observée près du massif du Mont-Blanc a augmenté de 4° entre les années 1950 et les années 2000. En 2019, 80 marches ont dû être ajoutées au très long escalier qui descend de la plate-forme de Montenvers au Glacier. « Sans doute avons-nous trop tardé », déclare Emmanuel Macron lors de son intervention officielle. « Ce sera le combat du siècle. [...] Il impose l'impatience, la détermination, et d'agir vite. [...] Vive la nature, vive la République, vive la France ».
Le projet Recoller la Montagne porte notre attention sur l'illusion d'un paysage immuable. Localisé dans les Alpes autour du Mont Blanc, en dialogue avec ceux qui l'habitent et l'étudient, il met en image la fragilité de ce que l'on croyait être le plus solide. Par la photographie, le volume et la vidéo, ce travail rend visible le mouvement d'effondrement qui caractérise l'impact démesuré de l'anthropocène. L'attention portée aux usages des territoires permet d'esquisser le modèle d'une montagne devenue fragile et fantomatique, d'observer son entropie, mais aussi d'envisager, au moins symboliquement, sa réparation.
Projection vidéo pepper's ghost, 3'05", Lidar 2016 et 2018 du massif du mont-Blanc, caisson 50 x 70 x 150 cm, 2020
Vue de l'exposition La Vallée , Centre Photographique d'Île-de-France, Pontault-Combault, 2022
Vue de l'exposition Recoller la montagne , Maison forte de Hautetour, Saint-Gervais-les-Bains, 2020
Vue de l'exposition Parcours , LUX Scène nationale, Valence, 2021
Recoller la Montagne , Semaine n°439, une publication d'Immédiats, juillet 2020 17 x 24 cm, 16 pages, texte de Joerg Bader
Résidence de création, Maison Forte de Hautetour – Saint-Gervais-les-Bains, 2019-2020 Acquisition 2021 du Centre national des arts plastiques