Pianissimo quanto possibile 1
Dans ses dispositifs d'expériences filmées, Camille Llobet se propose d'étudier la nature polyglotte de nos corps, capables d'apprendre les uns des autres en interprétant l'intraduisible. Auscultant 2 ces langues, l'artiste se sert d'une panoplie d'exercices collaboratifs de perception et de traduction, qui sont à la fois des entraînements sensoriels, des enquêtes sémantiques et des apprentissages sensibles.
Mettant en évidence le caractère expressif du langage, l'artiste en isole les contours – les éléments prosodiques comme le rythme, l'articulation et l'intensité – tant dans le script indéchiffrable d'un dialogue en langue étrangère que dans un monologue bruitiste enfantin. À cette occasion, elle enregistre et analyse les babillages, interjections et vocalises de sa fille avant l'apparition des mots, demandant ensuite à une soprano d'en reproduire les textures sonores et les syllabes articulées (Majelich, 2018). Pour s'abstraire de l'expérience de l'âge adulte et de sa tendance à la rationalisation, un processus de réapprentissage est nécessaire à la chanteuse lyrique afin d'imiter les tâtonnements de l'enfant et de conserver la complexité de ses néologismes. Les modulations mélodiques et motifs affectifs sur lesquels repose la prosodie interviennent tant dans la langue vocale que dans la langue visuelle.
Lorsque Camille Llobet demande à une femme sourde de lui dire ce qu'elle voit des répétitions d'un orchestre, celle-ci en restitue, dans deux courtes vidéos intitulées Voir ce qui est dit (2016), une image symphonique élaborée, s'inspirant des traits expressifs qui accompagnent le langage musical. Le rythme est donné par le débit des mouvements, l'articulation des sons est visible dans la position des instruments, les variations des volumes se reflètent dans la mimique faciale des musiciens. Nous découvrons ainsi la richesse d'une narration où chaque émotion intervient comme un élément linguistique.
En décodant un éventail de mécanismes d'assimilation, l'artiste observe le fonctionnement de nos anatomies bricoleuses, leur manière de faire face à la fragmentation du « consensus des sens 3 », de compenser un désaccord entre les perceptions, cherchant une façon personnelle de s'épanouir. L'ouïe, privée de sa vue, trouve dans la pluie une matière pour combler les vides grâce aux échos sonores qu'elle produit en rebondissant sur les volumes environnants 4. Transformant le monde en une caisse de résonance, Camille Llobet retrace les topographies de nos paysages, dessinant leurs formes grâce à ces bruits chargés de sens qui nous entourent.