Christian Lhopital
Dossier mis à jour — 05/08/2024

Révélation simultanée

Révélation simultanée
Par Denis Cerclet
In Danse de travers, catalogue de l'exposition au Drawing Lab, Paris, 2018

Avec la théorie des cordes, l’univers a plusieurs dimensions dont certaines seraient imperceptibles. Ces nouvelles dimensions ne correspondent pas à des mondes parallèles, comme dans la science-fiction, mais elles influent vraisemblablement sur la manière dont nous percevons le monde. Cet intérêt pour les détails les plus ténus avait retenu l’attention de Carlo Ginzburg à propos de Sigmund Freud, Sherlock Holmes et Giovanni Morelli qui parvenaient, au cours d’une enquête, à mettre à jour des symptômes, des indices ou des signes picturaux et révélaient la réalité sous un autre jour. Je place le savoir-faire de Christian Lhopital dans cette lignée de ceux qui prêtent une attention méticuleuse à ce qui les entoure et inventent ainsi une réalité nouvelle.

La manière de travailler de Christian Lhopital s’apparente à une démarche de recherche. Il ne semble pas avoir, à proprement parler, de projet de dessin qui ne lui resterait qu’à reporter sur la surface d’un mur. Avant d’entamer la réalisation d’une œuvre, il se travaille, se prépare, s’échauffe, des bribes d’un autre monde, qu’il fréquente assidument depuis de nombreuses années, lui apparaissent. Ce sont comme des apparitions qu’il rassemble dans des carnets telles qu’elles se présentent.
Il lui importe avant tout de « garder un grand appétit pour le dessin, le désir de rencontrer cette surface » et d’avoir les sens affutés, et d’être prêt à l’action.

Ce n’est qu’en relation avec certaines surfaces, saisi par leur texture, les signes de leur histoire, leur mémoire que Christian Lhopital matérialise son univers. Ainsi, le grain d’un revêtement mural, qui ne peut plus être considéré support de la création, va s’émouvoir du graphite, et, sous les gestes de Christian Lhopital, ils vont s’interpénétrer et prendre vie dans le dessin. D’infra naturels, ces univers deviennent naturels et, peut-être même pour certains regardeurs, surnaturels. Nous pourrions dire que ni le mur ni ces personnages en leur monde n’existent et ne précèdent cette rencontre. Ce sont les mouvements, le corps, la technique, le savoir et la sensibilité de Christian Lhopital qui les inventent comme le rayon de lumière prend forme avec la poussière qui danse dans les airs lorsqu’un regard les perçoit.

Cette révélation simultanée de Christian Lhopital, de ce qu’il se révèle à lui-même, et du mur à travers le dessin, prend effets dès qu’il a l’intuition d’une place propice à l’organisation de cette rencontre.
Lorsqu’il s’approche du mur, à l’occasion de la première rencontre, il trouve la place qui va lui permettre de donner vie à ce monde entraperçu. Cette place n’est pas du même ordre que le point de vue à partir duquel s’élabore une perspective. Cette place est incertaine car elle doit pouvoir permettre l’agilité du mouvement et l’invention continuelle de la relation avec ce qui l’entoure. À partir de cette place, rien ni personne ne se fige. Tout reste à inventer. Le mur sert d’écran ou plutôt d’espace de révélation. C’est en ce sens que l’on peut véritablement parler de dessin et non de vision car c’est bien par le dessin que le monde s’organise de telle façon, qu’il prend forme dans le lieu qui lui est conféré. Ailleurs, à un autre moment, il serait autrement.

L’œuvre émerge de la rencontre : elle n’est pas la seule réalisation d’un projet, ni seulement contextuelle, ni même la mise en présence d’un monde parallèle. Sans doute doit-elle beaucoup à la vision périphérique de Christian Lhopital qui lui permet d’accorder une sensibilité accrue aux mouvements et ainsi de saisir plus finement son environnement et ce qu’il ressent. Le mur et Christian Lhopital sont touché/touchant et constituent ensemble un milieu d’où le dessin émerge. C’est par le mouvement que Christian Lhopital met en osmose son imaginaire et la verticalité du mur. C’est par le mouvement qu’il met en relation sa vie et celle de ceux qui interviennent dans la réalisation de son projet. L’intérieur de l’artiste et ce qui lui est extérieur se rejoignent dans un même espace, celui du mouvement et de la gestualité.
Et lorsque Christian se retire, il emporte avec lui une partie de l’œuvre, sur ses mains, sur ses vêtements. Et lorsque le dessin sera recouvert de cette peinture blanche dont sont faits les white cube, il deviendra imperceptible, mais toujours là et vraisemblablement prêt à émerger pour ceux qui sauront percevoir cette dimension cachée.

© Adagp, Paris