David Blasco
Dossier mis à jour — 04/02/2025

Chambre Kaléidoscopique, texte

Chambre Kaléidoscopique

Extrait d’Anaérobie, recueil de nouvelles dont l’écriture se fait en parallèle du développement du travail plastique de David Blasco, 2020

"Anaérobie, c’est peut-être notre propre monde, simplement enveloppé d’une ombre, d’une lueur pleine de vibrations, qui crée des connexions imaginaires, mais nécessaires. David Blasco en est l’architecte."
— Extrait du texte Notes sur Anaérobie de Katio Porro, 2024

Depuis la réforme de productivité, les volumes d’habitation ont tous été moulés selon le même protocole. L’autorité a fait passer la loi sur l’uniformisation des habitations ouvrières. Un modèle générique issu d’une même contrainte. Tous les secteurs de production ont conçu la Forme Commune Unique. Le ratio adéquat. L’habitacle est doté du même programme d’optimisation des mouvements que sur la chaîne de production.

Suivre la ligne qui longe le mur. Le faisceau continu (relié aux Identity Databases) comme un couloir, me transporte jusqu’à la prochaine variation directive. Stop. 
Scan d’évaluation.
Seuil franchi. 
Une rotation.
90°
Sas refermé. 
Trois pas devant. 
Plateforme de sommeil en butée. 
180°

Genoux pliés selon un angle laissé par la hauteur du volume m’assois. Perspective des cellules en enfilade voilée par la succession de multiples cloisons de verre qui s’opacifient lors du couvre-feu. La transparence, hors périodes de sommeil, implique que chacun puisse témoigner des faits et gestes de l’autre. Toute initiative de personnification ou de comportement non approprié à la transparence est signalée puis transmise à la Conformité. Œil concave, impression d’être vu par tous et partout. La transparence est réversible.

Bras droit tendu, accès au variateur de lumens. Un quart droite et l’obscurité atténue l’identité colorimétrique du secteur 1138. Dans la pénombre, les traces monochromes de l’organisation signalétique persistent. Comme lorsqu’ébloui brusquement, à la fermeture des yeux, j’imprime l’empreinte des formes. Chaque ligne, chaque angle, ne change en définitif jamais. Connaître l’espace comme extension de soi-même. Ne pas connaître l’espace c’est douter. Le doute est réflexion négative, ne pas avoir la mesure des vides et des pleins, l’errance.

Guidé. 
Il n’est pas question d’en avoir conscience ou non, ni de l’adopter ou de lutter contre, ne rien attenter pour rompre le mécanisme. Se laisser réguler est le moyen indiscutable de consommer passivement et sans accroc ses cycles sur Anaérobie. Quand j’envisage de rompre le vecteur, un pas de côté pour jouer avec le manuel des comportements, le Curateur ordonne les sentinelles d’une surveillance accrue dans ma cellule.

L’interstice entre les formes primitives détermine la déambulation possible dans l’espace. Une cartographie mémorisée à mesure des mouvements répétés. Les repères mathématiques et binaires se transforment en une intuition. L’équilibre programmé entre pleins et vides s’ingère (0=Forme 1=Fonction). Ainsi, table, assise, lit, lavabo, toilettes, et autres volumes qui combinent la formule 0-1, déterminent l’habitacle subdivisé, dividuel, qu’aucun ne possède.

Monochromes et mats, les volumes n’ont ni brillance ni reflet. À chaque rotation, une affectation à un autre secteur de rendement. Toujours la même cellule. Seule la couleur change. Une couleur pour chaque secteur d’activité. Au début on semble apprécier les nuances. Puisse chaque couleur changer l’appréhension de l’espace, de la cellule, du rythme. À mesure des cycles et des rotations, la couleur elle aussi répand sa puissance de conditionnement. Rappelez-vous où vous êtes et pourquoi vous êtes là. Indicateur sonore, le compte à rebours greffé au visage m’indique que la source d’oxygène passe en standby. La cellule dépressurise, la pression tombe. L’éclairage se termine au noir. Mes yeux fermés, la couleur reste gravée sur rétine. Bleu, elle prolonge ma pensée.

Position horizontale accordée.