David Blasco
Dossier mis à jour — 04/02/2025

Textes

Texte de Marina Guyot

2019

Notes sur Anaérobie

Texte de Katia Porro, 2024

Il y a des millions de façons de décrire un paysage. À commencer peut-être par les lignes, les contours, les ombres, la lumière, les habitant·es, les intrus·es. Mais comment décrire un paysage en train de se faire ? Un paysage composé de signes et de cibles qui ne cessent de muter, tout en confirmant, en imposant même, son caractère infini. Un horizon, une grille sans limite, un symbole de liberté. Accablant et ambigu.

« Ce que nous utilisons pour créer notre environnement est la chose la moins matérielle au monde, à savoir les mots. Bien sûr, cela ne signifie pas du tout qu’en repoussant la réalisation matérielle de cet environnement, nous avons évité de l’imaginer. Au contraire, nous avons refusé de réaliser une seule image, la nôtre, préférant qu’il s’en crée autant qu’il y a de personnes qui écoutent ce récit, qui imaginent cet environnement pour elles-mêmes, bien au-delà de notre contrôle. Pas une utopie, donc, mais une infinité d’utopies, autant qu’il y a d’auditeur·ices1 ».

Anaérobie, dans son ambiguïté et sa multiplicité, refuse ainsi une seule et unique image – il en a plusieurs. Et il est autant constitué par ses codes et ses symboles que par les mots qui le façonnent. Les lignes, les contours, les habitant·es, les intrus·es sont là, mais les mots leur donnent des potentiels infinis. Anaérobie est ainsi un territoire improbable où fiction et réalité se contaminent et se nourrissent mutuellement.

Anaérobie existe physiquement, mais de façon éphémère, avant de se plier, d’évoluer et de se déployer ailleurs, chaque fois sous une autre forme. Et toujours sous un nom différent.

47.014274, 3.146179, PATIO, 20232 : Anaérobie habille légèrement un espace pour inviter ses visiteur·euses à le regarder, à l’habiter, à comprendre son histoire, ses fonctions, plutôt que de le parcourir inattentivement. 47.004422, 3.158492, À LA LUEUR DES GUIDES, 20233 : Anaérobie habille encore un espace pour inviter ses visiteur·euses à l’oublier momentanément, pour les envoyer ailleurs. Elle n’embellit pas le squelette de l’espace existant, elle fait pousser sa propre colonne vertébrale, ses propres parois. Des habitant·es/intrus·es – appelé·es Followers – se multiplient, se nourrissant de l’environnement lui-même dans le but d’exister.

45.786216, 3.094144 : SURFACE MODULABLE, 20204 : Anaérobie présente sa capacité à se métamorphoser. 45.778364, 3.089267, DÉPÔT D’ESPÈCES, 20195 : Anaérobie dissimule et maquille ses méthodes de communication sur un horizon d’événements, donnant à voir seulement quelques pistes pour les déchiffrer. 45.783329, 3.083330, À LA LUEUR DES GUIDES, 20161 : Anaérobie nous confronte à l’inexistence de la notion de durée à travers une lueur invariable. Et ainsi de suite...

Anaérobie, tel que je le vis et le comprends, est l’univers plastique composé par David Blasco. Chaque dessin, objet, environnement, vidéo, texte que l’artiste produit est à la fois une composante et un sous-produit d’Anaérobie, car ses propositions artistiques sont toujours accompagnées d’un texte, un « extrait d’Anaérobie ». Ainsi, lorsque l’on parle de l’univers plastique de David Blasco, il n’y a pas d’insinuation cosmique et ambiante : tel un maquettiste, l’artiste façonne les contours de l’univers Anaérobie à travers chacune de ses œuvres.

Anaérobie a quelque chose de cinématographique, car ses manifestations empruntent souvent des formes proches de celles des plateaux de tournage. Cependant, cet aspect de l’œuvre/monde est peut-être moins à comprendre comme quelque chose de théâtral que comme une incarnation de la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur, puisque l’artiste brise souvent le quatrième mur dans ses installations – l’envers du décor s’y expose. David Blasco nous offre plusieurs fenêtres sur un monde fictif qui est ancré dans le monde « réel » à partir duquel nous le vivons. Les visiteur·euses d’Anaérobie déambulent à travers ses œuvres et ses installations comme s’iels s’y faufilaient. Et bien que la fiction joue un rôle important dans l’expérience cinématographique d’Anaérobie, il s’agit néanmoins d’une fiction spéculative : David Blasco utilise la narration pour imaginer des futurs, des passés et des présents profondément ancrés dans la réalité, dans ses espaces, ses habitant·es et ses interactions.

Dans Anaérobie, l’interaction est fondamentale, qu’il s’agisse de celle entre la main et la matière, entre le corps et l’espace, entre le corps et le corps. David Blasco privilégie la collaboration, voire même le parasitage. Parfois, les compétences artisanales et techniques des autres – comme la céramique, la tapisserie – complètent les siennes – comme la marqueterie, le dessin, le modelage –, et contribuent à façonner Anaérobie avec des textures, des couleurs, des formes, des matériaux différents. Ces collaborations nourrissent les terres déjà riches d’Anaérobie, façonnées avec précision, les accompagnant dans leurs évolutions. Mais Anaérobie ne reste qu’en léger décalage avec notre propre monde en transformation. Car les interrogations que pose l’œuvre de David Blasco, que pose Anaérobie, résonnent fortement avec les questions brûlantes de notre monde actuel : allant de l’organisation sociale, au contrôle des corps dans l’espace, aux mémoires de l’espace en perdition, jusqu’à comment reconstruire et réimaginer un monde.

« J’ai toujours pensé que l’avenir du monde serait enveloppé d’une ombre. Non pas une ombre réactionnaire, obscurantiste ou triste, mais une ombre chargée d’informations électroniques et sensorielles, pleine de vibrations, fragmentant le monde existant et créant de nouvelles connexions imaginaires6 », écrit Andrea Branzi, pionnier de l’architecture spéculative.

Anaérobie, c’est peut-être notre propre monde, simplement enveloppé d’une ombre, d’une lueur pleine de vibrations, qui crée des connexions imaginaires, mais nécessaires. David Blasco en est l’architecte.

  • — 1.

    Archizoom Associati dans Italy: the New Domestic Landscape, catalogue d’exposition, MoMA, New York, 1972, p. 234.

  • — 2.

    Patio, exposition personnelle de David Blasco dans la Mairie de Varennes-Vauzelles, Parc Saint Léger hors les murs, 2023

  • — 3.

    À la lueur des guides, exposition personnelle de David Blasco dans l’espace Claude Parent, Cité scolaire de Banlay, Parc Saint Léger hors les murs, Nevers, 2023

  • — 4.

    Surface modulable, installation in situ à La Tôlerie, 2020

  • — 5.

    Dépôt d’espèces, exposition personnelle de David Blasco dans la Chapelle de l’Oratoire, Videoformes, Clermont-Ferrand, 2019

  • — 6.

    Andrea Branzi, "Architecture in Shadow", dans Terrazzo #2, ed. Barbara Radice et Ettore Sottsass, 1989, p. 40.

Quiet Earth

Texte d'Annabel Rioux, 2015

Texte de Sébastien Maloberti

2012