La tour 32
La tour 32
Extrait d’Anaérobie, recueil de nouvelles dont l’écriture se fait en parallèle du développement du travail plastique de David Blasco, 2019
"Anaérobie, c’est peut-être notre propre monde, simplement enveloppé d’une ombre, d’une lueur pleine de vibrations, qui crée des connexions imaginaires, mais nécessaires. David Blasco en est l’architecte."
— Extrait du texte Notes sur Anaérobie de Katio Porro, 2024
Au démarrage, dans l’axe de la vision, la colonne dominante. Il faut qu’elle reste visible à mesure des mètres foulés pour que la distribution des réseaux soit captée. Un repère qui permet de ne pas interrompre la marche éliminant tout doute sur la trajectoire. La hauteur de la ville ne s’érige pas au-delà des 365 mètres de la cime de l’émetteur. La tour prolongée de sa flèche reste la tutrice des ordonnées. Les autres bâtiments lui font allégeance. Tapies dans son ombre portée, à couvert, les colonnes dortoirs courbent l’échine pour laisser le champ libre aux rayonnements de l’émetteur qui sifflent au-dessus de leurs toits. Ces faisceaux, après verrouillage des cibles, régulent les trajectoires de tous les pensionnaires. Émission-réception, échange d’ondes, conversation cryptée entre la tour mère et la cellule porteuse de données : un sujet d’Anaérobie.
Coordonnées verrouillées sur mon tuteur des déambulations.
La trajectoire proposée assure une piste sans détour et pourtant, à mesure que je fixe la tour et m’en rapproche, son échelle ne paraît pas s’adapter. Comme un hologramme, une image et non une architecture. L’idée d’un point B après que le point A m’ait été soufflé. Le nombre d’unités restant à parcourir défile toujours sur mon écran. Comme une molécule sur orbite, la relation d’équilibre établie avec l’objet de mon déplacement dessine une frontière en filigrane. Elle paraît déterminer la distance à respecter entre ma position et son cadastre, son emprise au sol, le périmètre d’implantation à respecter.
Sans plug-in des parcours alternatifs, il me faut poursuivre un tracé commun pour atteindre la cible. Mon parcours tente d’approcher le point des distributions de la tour de télécommunication 32. Un point de fuite érigé au sommet depuis lequel rayonnent toutes les perspectives de transferts. Peut-être un accès à l’horizon des matières avant d’atteindre celui des évènements, frontière depuis laquelle, lorsqu’une bonne conduction à la timeline est négociée, nous pouvons observer les artefacts qui ont constitué l’Organisation.
En marge de la découpe du secteur, se trouve un pavé sans doute lâché par un Porteur désorienté, en perdition, en mal de standby. Au verso, la piste d’un plan. Gravé sur une des faces, un tube du réseau des ondes est reconnaissable. À l’intérieur de celui-ci, un cube apparaît comme en transit. Par ce canal, il voyage à l’abri des archives, propulsé par des transmetteurs vierges, encore non affectés. Probablement le fossile d’une combinaison démembrée bien connue des Passeurs de Zones. Lorsque toutes ces pièces sont rassemblées, connectées entre elles, le verrouillage aux accès éclate et la perspective redevient champ libre.