David Lefebvre
Dossier mis à jour — 06/09/2016

Textes

(Dé)voiler le réel

Texte et interview de Charline Corubolo
Le Petit Bulletin n°933, pour l'exposition For Rest, le VOG, Fontaine, 2014

Entretien avec Bernard Zürcher

Publié dans le catalogue David Lefebvre, publié à l'occasion des 14e Rencontres d'Art Contemporain, Bourg-la-Reine et de l'exposition Dans le désordre, Galerie Zürcher, Paris, 2009

Peinture « basse def »

Par Stéphane Sauzedde
Publié dans le catalogue David Lefebvre, École Supérieure d'Art de Grenoble, 2007

Portrait d'un quotidien préfabriqué en trois épisodes

Par Anaëlle Pirat-Taluy
Publié dans le catalogue David Lefebvre, École Supérieure d'Art de Grenoble, 2007

La première partie du travail de David Lefebvre consiste en s'approvisionner en images. Télévision, Internet ou magazines sont autant de sources qui lui permettent de se constituer une importante collection d'images pas spécifiquement sélectionnées sur la base d'une quelconque méthode rationnelle, mais plutôt trouvées au gré du hasard et des recherches. Ces images constituent alors la matière première de ses peintures. Sorties de leur contexte, elles perdent ce caractère spécifique qui permettait d'en faire une classification précise et hiérarchisée (publicité, documentaire ou tableau de maître) pour devenir des produits culturels anonymes, à valeur identique, et destinés à un nouvel usage, celui du peintre qui les reproduit, et qui les élève ainsi au statut d'œuvre d'art. Ou presque.

Car si l'acte de peindre peut être encore affilié à une certaine idée de « noblesse du geste », David Lefebvre semble narguer cette position idéaliste du peintre par le choix de ses sujets. Comme s'il avait choisi essentiellement de reproduire les images les plus insignifiantes, les plus kitsch, les plus silencieuses, voir les plus « nulles ». Prenons par exemple la série Magazine : une femme se fait faire une injection de Botox, un homme colle du papier peint, un autre goûte du vin. Ces images - illustrations bien composées, bien cadrées, bien faites par le photographe d'origine - ne servent souvent qu'à l'illustration d'un propos pour en rendre la lecture moins rébarbative. Seules, elles ne disent rien, elles n'ont plus aucun intérêt. En choisissant de les peindre et en enlevant tous les indices permettant de les décoder, David Lefebvre rend compte de leur absurdité, et en même temps, en leur conférant ce nouveau statut d'œuvre, il les rend comme plus concrètes. Ce qui devient absurde, c'est alors le choix de peindre de telles images.

La vacuité des images utilisées par David Lefebvre fait pourtant, ou justement, se dessiner dans certains de ses travaux une sorte de trilogie de la vie quotidienne.

À commencer donc par le lieu où l'on travaille : L'entreprise.
La « PME » ici prend la forme d'un préfabriqué. Mobilier urbain éphémère, conçu pour accueillir des activités temporaires, mais qui devient le modèle générique du bâtiment d'entreprise : simple, efficace, économique, confortable et esthétique, en toute objectivité.
Ces constructions modulaires, créées pour être d'une neutralité absolue et dont la fonction est uniquement utilitaire, apparaissent comme des espaces de travail ou toute activité ne répondant pas aux exigences de bon rendement de l'entreprise semble proscrite. Ce sont comme des boîtes dans lesquelles il y a d'autres boîtes dans lesquelles il y a des gens devant leurs ordinateurs.
Ainsi David Lefebvre les représente tels qu'ils sont vendus par les entreprises les produisant, des cubes blancs, avec quelques ouvertures, entourés d'une verdure qui cache d'autres cubes blancs.

En seconde partie vient notre autre lieu de vie : La maison.
Mais pas n'importe quelle maison. Sous forme de cube encore, mais cette fois plutôt rose saumon ou jaune moutarde, il s'agit de cette maison de lotissement qui ressemble à toutes les maisons de tous les lotissements de France. La maison neuve, pas chère et pour le ministre Jean-Louis Borloo, celle d'un « rêve qui se concrétise pour les ménages à revenus modestes ». Une maison dont la forme s'apparente à celles du Monopoly, mais si sur le plateau de jeu elles sont le signe de réussite, dans la réalité c'est évidemment l'inverse.
Cette maison ne pourrait exister sans le meilleur ami de l'homme, le chien, qui pointe son museau dans le travail de David Lefebvre avec une image digne d'un calendrier de pompier. Le chien (ou plutôt sa représentation) est partout : brodé par la grand-mère au-dessus de la cheminée ou téléchargé comme fond d'écran sur le téléphone portable de l'adolescente. L'image de ce petit chien tellement mignon a le pouvoir de faire rire par son kitsch certain, et en même temps celui de déclencher un amour inconditionnel à son égard.

Après nos lieux de travail et de vie, le dernier élément composant cette trilogie de la vie quotidienne, c'est notre apparence : celle qu'on a, et surtout, celle qu'on voudrait avoir.
Le garant de cette apparence, c'est le top model. Celui qu'on retrouve dans des poses aguichantes dans les pages du catalogue de La Redoute, et qui tente de ressembler au top model des podiums de haute-couture. Ce model est censé représenter l'adolescente type : celle qui sort en boîte le samedi soir et qui apparaît la semaine suivante dans des magazines gratuits qui n'ont d'autres intérêts que d'exhiber la vie nocturne trépidante de la ville dans laquelle il est publié. Ce genre de magazine diffuse essentiellement des photos de jeunes gens en train de s'amuser (boire et danser) dans les boîtes de nuits locales. Les jeunes filles (et quelques garçons aussi) posent pour le photographe et travaillent ainsi à la représentation d'elles-mêmes en parfaites « clubbeuses », en reproduisant les attitudes qu'elles ont pu observer dans les magazines de mode. Ces photographies transmettent en retour à ses filles une image fausse mais séduisante (quoique vulgaire car médiocre imitation de glamour) de leur réalité. Cette image auto-vendeuse nous plonge dans une sorte de mise en abîme d'images (celles des adolescentes) qui imitent des images (celles des photographies de mode) qui imitent des images (celles des effigies).

Les effigies, ce sont ces mannequins, ces célébrités ou ces Golden Boy qu'on retrouve dans les romans de Bret Easton Ellis. Les créatures de rêve qui s'exhibent aux soirées new-yorkaises et qui fascinent le monde entier par leurs excès (excès de beauté, excès de soirées, excès de cocaïne). Seulement la peinture de David Lefebvre transforme leur image lisse en image dégoulinante. Ces effigies deviennent laides, comme si la cire de leur visage fondait, que leur maquillage se répandait. Une nouvelle d'image derrière l'image, un portrait de Dorian Gray contemporain.

« La maison », pour David Lefebvre, « c'est un peu le portrait par absence des gens qui vivent dedans ». On peut se rendre compte alors que toutes ces différentes images - le préfabriqué, le top model, le chien - semblent constituer eux aussi ce portrait. Le portrait des membres d'une famille qui semble disparaître derrière tout ce qui constitue son apparence, derrière tous les objets de sa consommation. Leur réalité, leur vérité, n'est plus visible, ni pour le peintre, ni pour le regardeur, qui ne savent alors pas quelle peut être leur existence propre.

Enfin, perdue au milieu d'une toile blanche, une voiture en flammes fait son apparition. C'est l'irruption du fait-divers, l'irruption d'un autre type de réalité, relayée celle-ci par les journaux d'information. Un genre d'images tout autant consommées par cette famille invisible que celles magiques des starlettes ou celles mignonnes des petits chiens, sans plus vraiment faire la différence entre leurs différents messages.
Et un genre d'images tout autant consommées par David Lefebvre, avec ce qui fait évidemment la différence : cet avantage de pouvoir considérer toutes ces images sans plus les subir, mais en les transformant par sa pratique bien spécifique de la peinture.