Émilien Adage
Dossier mis à jour — 04/07/2024

Terres Chaudes

TERRES CHAUDES

Exposition personnelle
GAC, Annonay, 2018

Arpenter les terres chaudes à la recherche d'une oasis, par Anthony Lenoir :

En entrant, une douce lumière baigne la scène. Nous pénétrons un couloir légèrement obstrué par une structure en bois et bâche polyuréthane qui laisse transparaître une clarté rougeâtre.
L'atmosphère est à la fois chaude et pesante, calme et mystérieusement active. Sans être tout à fait capable de la définir, il est évident que quelque chose se trame de l'autre côté de cette surface diaphane. Dès les premiers pas dans l'exposition Terres chaudes d’Émilien Adage, le ton est donné : nous avancerons par tâtonnement et non par certitude.

Lire la suite

Le long corridor d'entrée nous mène vers deux pièces attenantes baignées d'une lumière blanchâtre plus traditionnelle. À droite, une moquette verte comme de l'herbe couvre le sol d'une pièce étroite. En l'observant à bonne distance, on distingue une matière visqueuse et verdâtre qui semble avoir creusé le sol et nous donne l'impression de survoler un paysage.
Dans la pièce de gauche, un élément nous attire. Il paraît évident que la moquette que nous foulons est en réalité une pelouse artificielle retournée pour nous montrer l'envers de sa peau. Attirés par cette anomalie, nous nous rapprochons de la source lumineuse que nous avions identifiée en entrant. Les fenêtres du lieu sont recouvertes d'argile. Par ce geste simple, nous sommes transportés dans un environnement caverneux. Sur le mur de gauche, six casquettes sont accrochées sur des porte-manteaux. La sensation de calme ressentie dans la première partie prend ici la teneur d'une pause. Les casquettes sont en attente d'être coiffées mais leur matière nous empêche d'imaginer que nous en soyons les destinataires. En effet, elles aussi sont en terre, une terre cuite mais non émaillée comme pour nous montrer, là encore, l'envers de leur peau.
Sur une petite tablette, un hexagone de bois avec de légères aspérités intrigue (Bonne nouvelle, c'est ok pour la porte spatio-temporelle !, 2017). Il pourrait s'agir d'une carte. Le travail du bois (collage, ponçage, sciage, etc.) laisse penser que celle-ci s'est composée progressivement au fil des découvertes, tels les premiers explorateurs naviguant pour tracer les contours d'un continent méconnu. À qui et à quoi sert cette carte ? Ou plutôt à qui et à quoi servait cette carte ? Mystère.

Au fond de cette première pièce, une porte donne accès à la salle principale. C'est en tout cas ce que l'on imagine en arrivant puisque son volume paraît imposant sans toutefois pouvoir être défini précisément. Une structure en bois et bâche – similaire à celle de l'entrée – emplit quasi totalement l'espace. S'il semble possible d'en faire le tour, le chemin n'est pas aisé et pousse le visiteur à pénétrer dans ce cube. À l'intérieur, les éléments parsemés au sol, projetés sur les parois ou déposés sur de légers promontoires sont nombreux : volumes en arrête, bouteilles de bière recouvertes, amas de terre, octogone de mousse polyuréthane et une multitude d'autres objets informes composés d'une substance qui pourrait être de l'émail mais plus sûrement du verre. Ces derniers sont particulièrement intéressants car ils créent individuellement et collectivement des sortes de paysages montagneux au sein desquels des lacs sont contenus. La montagne est une référence importante que l'on trouvait déjà dans la première pièce, dans une photographie sur laquelle l'unique élément architectural est recouvert d'argile. D'autres casquettes en terre sont éparpillées dans l'espace. À la différence des premières, celles-ci semblent avoir été contaminées par des micro-paysages, parfois formés d'un palmier, d'autres fois par les feuilles d'un ananas et toutes colonisées par cette même substance, le verre fondu.
L'architecture et l'atmosphère se rapportent aux images des expériences scientifiques que nous avons en tête en vue d'une future colonisation interplanétaire. À la seule différence que cette nouvelle biosphère paraît bien bricolée.

Dans la pratique d’Émilien Adage, il est justement question de science, de recherche et de bricole. L'expérimentation du monde qui l'entoure est au centre de son travail. Des séries d'expériences électriques (#8, 2008 ; #11, 2011), aux concerts visuels de néons (Opérations2, 2011), en passant par les céramiques de laine de verre, il s'intéresse aux propriétés de la matière et leurs capacités de création. C'est ainsi qu'il peut laisser fondre des blocs de laine de verre à plus de 900°c et stopper leur métamorphose lorsque les pains laissent apparaître une infinité d'images ou qu'il s'autorise à découper, coller, redécouper et recoller indéfiniment les mêmes planches de contreplaqué d'une œuvre de Gilles Barbier (Porte spatio-temporelle (en panne), 2001) jusqu'à obtenir l'hypothétique carte des lieux accessibles grâce à cette porte. La matière devient la matrice de l’œuvre.

Tout au long de l'exposition les matières sont omniprésentes. A contrario, l'homme est absent. Seules subsistent ses traces : casquettes, bouteilles, chopes, carte, bloc de béton n'attendant que le temps pour ressembler aux rochers, et petites architectures abandonnées. C'est en arpentant le paysage qu'on espère se perdre et à force de vouloir se « rapprocher de la nature », on finit par guetter les stigmates de notre humanité. C'est parce que la ruine est seule au milieu de nulle part qu'elle devient un refuge pour le marcheur lui-même esseulé. Elle est le vestige de son passage et l'assurance de son futur. L'oasis des terres chaudes qu'il arpente avec ardeur.


Installation in situ
Céramique, argile, sable, laine de verre, bois, plastique, néon


© Adagp, Paris