Fabienne Ballandras
Dossier mis à jour — 04/12/2025

Dessins extimes

Fabienne Ballandras
Texte de Stefania Meazza
Pour l'exposition Dessins extimes, Maison Salvan, Labège, 2021

En 1986, peu avant la catastrophe de Tchernobyl, les sondes Vega et Giotto survolaient la célèbre comète Halley, entrée dans le système solaire l’année précédente, afin d’étudier son noyau et sa chevelure. Pour la première fois, des images d’une comète étaient transmises au grand public, bien que floues et brumeuses, du même blanc laiteux que les premières photographies du désastre nucléaire en Ukraine.

Ces images, témoins d’un temps révolu, ont été détrônées en 2014, par celles que la sonde Rosetta a transmis depuis la surface de la comète 67P / Tchourioumov-Guérassimenko : avec précision et netteté, on peut y voir des reliefs accidentés, des falaises rocheuses, une pluie de poussière cosmique. Fabienne Ballandras a reproduit ces paysages reculés en une série de dessins (67P / T-G) à la mine et graphite sur papier.

Qu’il s’agisse de paysages inhabités, d’images de foule ou de guerre, de reproductions d’objets quotidiens, l’artiste se plaît à nous conduire dans des réalités inconnues et inaccessibles. Observer ses travaux équivaut à plonger dans une réalité impossible à appréhender autrement que par le dessin.

Le choix des sujets, tirés majoritairement de l’actualité, la dirige vers l’étendue sans fin des images médiatiques. S’inscrivant en ce sens aux cotés d’artistes qui s’approprient les images dont ils ne sont pas les auteurs, notamment sur Internet, Fabienne Ballandras annule toute distance avec ses sujets, grâce à une technique de dessin minutieuse, aux temps très longs de travail manuel épuisant. Il ne s’agit pas uniquement d’un geste d’appropriation, tel que celui de Thomas Ruff dans Zeitungsfotos ou dans la série Jpeg des années 1990 et 2000, qui le pousse à puiser dans la presse ou sur Internet pour interroger la nature profonde du médium photographique.

Ce travail questionne plutôt notre manière d’appréhender le monde par l’accumulation d’images, qui, depuis l’avènement d’Internet, a subi une accélération spectaculaire (Google Images naît en 2001, tout juste 15 ans après la comète Halley et 13 avant la comète Tchouri). Par conséquent, leur accessibilité, autrefois impensable, aujourd’hui immédiate, se répercute inexorablement sur notre capacité d’émerveillement.

Face à cette (post-)modernité numérique et blasée, les dessins de Fabienne Ballandras sont à même de nous détourner de l’infobésité1 pour nous restituer ces « leçons d’abîme » que le professeur Otto Lidenbrock dispense à son neveu Axel du haut vertigineux du clocher de Vor-Frelsers-Kirk2.

  • — 1.

    Contraction des mots « information » et « obésité », ce terme désigne la surchargeinformationnelle qu’un individu subit face à la multitude de données qui nous parviennentsans interruption des médias.

  • — 2.

    Jules Verne, Voyage au centre de la terre, 1864.