Florent Meng Lechevallier
Dossier mis à jour — 02/05/2017

Textes

Notice biographique

Au-delà des armistices platoniques

Texte de Françoise Lonardoni, 2020

Texte de Étienne Hatt

Publié dans artpress n°416, novembre 2014, 2e cahier consacré au Festival R4 de la vidéo d'art

Située en Cisjordanie, la ville d'Hébron est divisée. La zone H2 désigne sa partie placée sous le contrôle direct de l'armée israélienne qui protège quelques centaines de colons. Leur installation dans les années 1990 entraîna le départ progressif des Palestiniens, au point de créer les quartiers fantômes qu'a arpentés Florent Meng en 2013 pour réaliser Notes sur H2. Le film évoque donc une situation politique précise. Il renvoie aussi à l'intérêt ancien de l'artiste pour le Moyen-Orient. Florent Meng poursuivait ses études à Beyrouth lors du conflit qui opposa Israël au Liban en 2006. Il en a gardé le goût de cette région où, dit-il, la réalité, qui oscille entre extrême légèreté et violence inouïe, est plus forte qu'ailleurs et déformée par les médias occidentaux. Cette réalité est bien sûr d'abord celle de la coexistence conflictuelle des religions. La série photographique Préambule, alinéa H (2011) et le film Parking (2013), réalisé avec la vidéaste Salma Cheddadi, abordaient la situation libanaise, caractérisée par le confessionnalisme qui répartit les pouvoirs en proportion de l'importance démographique des communautés. L'alinéa H du préambule ajouté en 1990 à la constitution de 1926 affirme bien que sa suppression constitue un "but national essentiel", mais il est toujours en vigueur, suscitant abus et rivalités et favorisant l'appartenance à sa communauté religieuse plus qu'à la nation. Pour en parler, Florent Meng avait choisi un "angle faible", celui de l'amour. Les photographies documentaient, par des vues d'affiches publicitaires, le modèle de la femme mariée et sa déclinaison par les différentes religions. Elles livraient aussi des images de ces lieux où les couples, souvent de confessions différentes et, à ce titre, sans réel avenir, se retrouvent secrètement. Le film mettait en scène deux de ces amoureux, elle chrétienne, lui musulman, dans une de ces zones à l'écart, discutant des grands sujets abordés par la jeunesse libanaise dont la parole n'est que rarement transmise. L'ambition du film était documentaire mais le couple n'en était pas un dans la vie et les deux jeunes, même s'ils n'étaient pas des acteurs, rejouaient des propos formulés séparément pendant le casting. Le film, comme les photographies, dont la linéarité documentaire était perturbée par des images hors sujet, prenaient des libertés avec le genre sans renoncer à leur vocation.

Notes sur H2 approfondit cette double réflexion politique sur le Moyen-Orient et esthétique sur le documentaire. C'est un objet hybride, décrit par son auteur comme un "film de science-fiction documentaire". Un texte, dans une langue allusive et imagée, qui évoque un récit mythique ou une fable, s'inscrit en bas de l'écran. Il raconte la visite du narrateur dans "le pays où il pleut des pierres" et sa rencontre avec le dernier homme qui faisait l'objet de sa quête. Les images filmées sur place montrent des rues désertes et des maisons abandonnées, des chiens errants, des drapeaux israéliens qui claquent au vent, un cimetière musulman et le dernier homme, un chrétien fabricant de cercueils. Sur fond sonore de nappes, de déchirures et de grésillements conçus par l'artiste Ceel Mogami de Haas, elles sont précédées par des extraits du film de science-fiction The World, The Flesh and The Devil (1959), montrant Harry Belafonte désemparé dans un New York post-apocalyptique, et prolongées par un montage de textes et d'images renvoyant aussi au thème de la catastrophe et de la survivance. Si elles sont les plus visibles, ces références fictionnelles sont pourtant moins présentes que La Soufrière de Werner Herzog, un documentaire réalisé en 1976 autour de l'éruption présentée comme inévitable, mais qui finalement n'eut pas lieu, de ce volcan de Guadeloupe. Florent Meng en reprend l'argument (se rendre sur place pour retrouver celui qui avait refusé de quitter les lieux), la structure narrative (la visite de la ville désertée, la rencontre de l'homme et le dialogue qui s'instaure), certaines phrases, dont le dialogue entier. Mais il ne réalise pas un remake de La Soufrière. Il le transpose et l'actualise dans un autre contexte. Il multiplie les registres d'images, exploite le potentiel fictionnel du documentaire et la portée politique de la science-fiction (The World, The Flesh and The Devil est aussi une réflexion sur le racisme et la ségrégation) pour réaliser un film d'anticipation à la fois si loin et si proche de la réalité politique du conflit israélo-palestinien et de ses conséquences au quotidien.

Hybride, ce film l'est à plus d'un titre. Exception faite de Parking, coréalisé, Notes sur H2 est le premier film de Florent Meng qui a, jusqu'à lors, surtout pratiqué la photographie. Cet élément est d'importance. Il explique pourquoi Notes sur H2 est essentiellement composé de plans fixes et que le mouvement est créé par des effets élémentaires de zooms avant ou arrière et de champs-contrechamps. Notes sur H2 rappelle d'autant plus la pratique photographique de Meng qu'elle est elle-même très cinématographique. Plusieurs de ses travaux étaient, en effet, conçus en séquences plus ou moins narratives. L'enchaînement et la superposition des images des deux Books (Riffle through Dead K., 2009, et So Long Bobby, 2011) relèvent ainsi d'une forme de montage. L'installation Jogging Slides (2011) introduisait, quant à elle, la projection en étendant le défilement au slide show. Ainsi, le passage au film semble moins une rupture que la poursuite par Meng de sa pratique photographique. Ce serait faire abstraction d'une des raisons qui ont poussé l'artiste à se lancer dans la vidéo : dépasser les limites de la photographie qui, trouve-t-il, peine à faire sens quand un texte ou une parole ne sont pas associés à l'image. Le film est sans doute aussi bien plus propice au genre de la science-fiction documentaire qu'il veut continuer à exploiter pour explorer d'autres réalités critiques et produire ce qui s'apparente à des fables politiques. Il prépare ainsi un film sur la question des migrations entre le Mexique et les États-Unis inspiré notamment de l'épisode « The Last of The Meheecans » du dessin animé South Park : pour contrer l'effondrement de l'économie dû au retour au pays de tous les Mexicains, les Américains dressent un mur invisible dans le désert. Le héros de Florent Meng parviendra-t-il à le franchir ?

Biographie de l'auteur⋅e

Étienne Hatt est rédacteur en chef adjoint d’artpress, où il tient la chronique mensuelle sur la photographie, et chargé de programmation au Centre d’expérimentation du Collège international de photographie du Grand Paris. Il a été co-directeur artistique de l’édition 2019 du salon a ppr oc he, dédié à la photographie expérimentale, et anime un cycle de conversations filmées que lui a confié le Jeu de PaumeÉtienne Hatt