Textes
L'abstraction dure endure
Texte de Rachel Stella
Publié dans Franck Chalendard, Peintures 2016-2023, Ceysson Éditions d'Art, Saint-Étienne, 2023
L'abstraction dure endure
Texte de Rachel Stella
Publié dans Franck Chalendard, Peintures 2016-2023, Ceysson Éditions d'Art, Saint-Étienne, 2023
Entretien avec Henri-François Debailleux
Entretien avec Henri-François Debailleux
Publié dans Franck Chalendard, Peintures 2016-2023, Ceysson Éditions d'Art, Saint-Étienne, 2023
Entretien avec Henri-François Debailleux
Entretien avec Henri-François Debailleux
Publié dans Franck Chalendard, Peintures 2016-2023, Ceysson Éditions d'Art, Saint-Étienne, 2023
Henri-François Debailleux : Vous avez un jour déclaré que les rapports entre figuration et abstraction n’avaient pas de sens pour vous. Or lorsqu’on regarde vos œuvres – et vos œuvres récentes en sont encore un bel exemple – on a tendance, logiquement, à les considérer comme abstraites. Où en êtes-vous aujourd’hui face à cette distinction ?
Franck Chalendard : Effectivement, l’opposition entre abstraction et figuration ne m’a jamais intéressé. Elle n’a jamais fait l’objet d’une question dans ma démarche parce que, aussi étonnant que cela puisse paraître, je peins avant tout des traces, des signes de mes souvenirs. Ce sont des souvenirs de motifs, des souvenirs à la dérive, des motifs épars que je réemploie mais qui ne s’enchaînent pas nécessairement. Un motif est généralement une répétition, ce qui est rarement le cas dans mon travail. Lorsqu’il y a répétition, elle s’épuise vite et le signe ne devient plus qu’une bribe de motifs. Tel est le point de départ de ma peinture, elle part de ces souvenirs qui se mettent en place de façon aléatoire. Alors dire d’un motif qu’il est abstrait ou figuratif, je n’en sais rien. Je sais juste que mes signes ou motifs sont complètement décontextualisés, ils n’ont pas de rapports précis avec quelque chose, ils ne renvoient à rien de particulier si ce n’est à ma mémoire, fragmentaire, et ils sont avant tout des prétextes à peinture. Ils ne sont en rien une critique moderniste ou une réflexion sur une suite possible à ce modernisme : ils relèvent simplement de quelque chose de plus enfantin, de plus spontané, ils correspondent à des bribes qui me reviennent, que j’utilise et que je mets en place. Un élément arrive, suivi d’un deuxième puis d’un troisième complètement différent. Ils s’enchaînent sans être le résultat d’une préparation particulière. J’aime peindre quand je pars dans le vide et je fais même de la peinture pour cela, pour ce petit risque de mettre en place des éléments et de faire fausse route, le risque de se tromper et de trouver une solution pour rectifier le tir.
Est-ce que ces motifs, ces souvenirs dont vous parlez, sont les mêmes depuis vos débuts ou est-ce qu’ils ont évolué, ou carrément changé, avec le temps ?
Ils ont évolué et évoluent encore parce que mon œil est maintenant conditionné par eux. Je vais ainsi pouvoir trouver des motifs presque n’importe où, à partir du moment où ils se connectent à mes souvenirs, aussi bien sur une poterie, sur un vêtement, et même sur n’importe quel tableau parce que je peux parfaitement convoquer d’autres peintres à travers mes souvenirs. Dans la même séance de travail, il peut m’arriver de passer de tel artiste à tel autre parce que le motif que je trouve chez ce dernier me parle plus et va mieux me convenir. Je fais ma petite histoire, ma petite histoire de la peinture : en croisant mes maîtres, mes pères, des motifs reviennent, d’autres s’enchaînent, l’un en appelle un autre que j’ai vu ailleurs, etc. Le résultat est un mélange de réminiscences personnelles avec des aînés que j’aime. Je réfléchis à la manière dont ils se sont sortis de tel problème de peinture et comment je vais m’en sortir moi-même.
Quelle est cette famille artistique, qui sont ces maîtres que vous évoquez et dont vous avez toujours dit qu’ils vous accompagnaient dans votre travail ?
Cette famille vient de très loin, puisqu’elle peut remonter aux premières manifestations de la peinture en passant par les primitifs italiens. Mais elle tourne principalement autour de Matisse – et de ceux qui ont travaillé dans son sillage – et notamment sa période précédant ce qui a influencé les artistes américains du Color Field comme Clyfford Still, Robert Motherwell, Kenneth Noland, etc.
Je préfère de loin son travail antérieur, ce moment où il y a une tension folle dans ses œuvres, avec une force, une maîtrise et une présence incroyables. J’aime beaucoup ce qu’il peint après ses voyages au Maroc, lorsqu’il est très influencé par les tissus, donc par les motifs, avant qu’il ne fasse de grands champs colorés.
Bien évidemment, et pour de multiples raisons, Claude Viallat est pour moi incontournable. J’aime également beaucoup le côté guerrier de Picasso, toujours capable de contredire ce qu’il vient de faire, de trouver de nouvelles propositions, d’avoir l’intelligence de se renouveler constamment. Chez lui, on ne sent pas le fruit de l’expérience puisqu’il donne toujours l’impression que tout est frais, même si on sait qu’il n’arrive pas à ce résultat sans avoir rien fait auparavant.
Vous évoquez régulièrement Claude Viallat. En quoi est-il essentiel pour vous ?
Sa peinture m’a toujours beaucoup passionné et questionné. Elle m’a fait prendre conscience que j’appartiens à une génération suivante, que je ne peux pas peindre dans le même état d’esprit. Son parti pris de départ, ainsi que celui de ses compagnons de route, correspond à une époque où il fallait affirmer quelque chose, prendre une position qui marquait une rupture, qui contredisait ce qui se faisait auparavant et même de leur temps. Aujourd’hui, c’est totalement différent, la période n’a rien à voir avec la leur, il n’y a plus d’avant-garde, nous ne pouvons plus revendiquer quoi que ce soit, nous sommes dans un moment d’individualités. Tout ce qu’il rejetait n’a plus lieu d’être. En revanche, il y a un héritage. J’ai quelquefois l’impression de l’entendre me dire : « Tu as encore un châssis, une toile tendue dessus. » Or moi, j’ai envie de m’inscrire dans son sillage mais en adéquation avec mon époque et avec ce que je suis, c’est-à-dire à un moment donné où la toile est ce qu’il y a de plus basique, où il n’y a rien de plus élémentaire que de peindre une toile. Tout le reste est sophistiqué. La toile, je la trouve au supermarché, les pinceaux également…
Aujourd’hui, je peins sans avoir à revendiquer quoi que ce soit, en disant « j’aime Viallat » parce que c’est ça la peinture, parce que ce qu’il fait est uniquement de la peinture au point que je ne vois même plus son signe. Il en est de même avec Baselitz : son personnage renversé je ne le vois plus, je ne vois que de la peinture. Voilà, nous, dans notre génération, nous devons faire sans leurs positions, leurs revendications. Mais je ne peux pas non plus peindre sans l’héritage des Saytour, Viallat, etc. et leur volonté d’un retour à zéro, d’une table rase. Je suis obligé d’en tenir compte et de travailler à partir de cela sur quelque chose qui est forcément différent. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien à démonter, je ne vais pas déborder du mur, attaquer le plafond, faire du nouveau puisque tout est déjà là. Mon propos est d’essayer de composer et d’exister au milieu de tout cela en recherchant cette liberté de Viallat qui, chaque fois qu’il accroche une toile à côté d’une des miennes, me donne l’impression que c’est moi le vieux.
Pour revenir à l’abstraction, vous parlez beaucoup de motifs, de signes, mais ne pensez-vous pas qu’il y a également dans votre travail un côté gestuel, lyrique dans le sens où l’on parle d’abstraction gestuelle, d’abstraction lyrique ?
Ce n’est pas le geste qui m’importe, c’est le souffle. Pour moi, la peinture est une histoire de souffle, une histoire de respiration. Je peins d’ailleurs comme s’il s’agissait d’une respiration et je tiens à ce que dans mes toiles il y ait la trace de ce souffle, car c’est ce qui détermine le résultat final. Ce dernier relève d’une histoire d’amplitude, d’arrêt, de recommencement.
J’ai à ma disposition un certain nombre de traces de peinture, des motifs et des signes et je ne veux surtout pas en éliminer ni avoir d’a priori sur certains. Dans certaines séries, je travaille avec du scotch et tout est vraiment délimité, avec des traits nets. Dans d’autres, j’abandonne ce qui pourrait passer pour une abstraction géométrique mais qui n’en est pas, pour effectivement un côté plus « lyrique », même si je n’aime pas ce terme. D’une part parce qu’il est très connoté historiquement puisqu’il correspond à une période précise et passée, après la Seconde Guerre mondiale. Lorsque j’étais étudiant, j’ai été influencé par cette peinture des années 50, par Pierre Soulages, et cette influence m’a laminé lorsque j’ai passé mon diplôme aux Beaux-Arts. D’autre part, le terme « lyrique » me gêne parce qu’il n’y a pas du tout d’états d’âme dans mon travail, cet aspect-là ne me concerne pas. Je fais simplement de la peinture, je ne parle pas de sentiments particuliers, je n’évoque pas de vagues à l’âme. En ce sens, d’une certaine manière je suis un artiste bourgeois, je n’ai pas d’histoire romanesque, pas de problèmes particuliers, pas de soucis majeurs. Je n’ai rien à revendiquer dans le registre de la plainte ou de la douleur.
Ce qui m’importe c’est d’avoir la plus grande liberté possible, qu’elle passe par des formes de « géométrie », de « symétrie » ou de « lyrisme » – tout est possible –, la liberté de ne pas avoir de protocole. Je n’ai d’ailleurs aucun protocole de travail. Quand j’attaque une toile, je suis face à un fond blanc. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je jette une forme, puis une seconde qui évoquent tel souvenir et me poussent à en rajouter une autre, ou quelquefois à en supprimer. J’ai l’impression de me laisser embarquer par une sorte de concaténation visuelle avec l’ambition à un moment donné de susciter l’envie de regarder et de s’interroger sur ce que l’on voit et perçoit. Et plus le temps passe, plus j’ai envie que mon champ s’élargisse pour que je sois capable de partir de n’importe quoi.
Même si l’appellation d’« abstraction gestuelle » ne vous convient pas, vous attachez quand même une grande importance au geste…
Je tiens effectivement beaucoup à l’idée du geste mais au sens de la trace qui me semble la caractéristique de la peinture. Le danseur est dans la gestuelle, dans le mouvement, mais il ne laisse pas de trace. Le peintre, lui, ne fait pas de la danse dans son tableau, mais quand il fait un geste, le tableau en garde la marque. Son geste est comme gravé, non pas dans la pierre, mais sur la toile, ce qui sous-entend qu’il n’est pas arrêté, qu’il n’est pas définitif, qu’il correspond toujours à un mouvement, qui éventuellement pourrait se continuer. D’ailleurs, quand le spectateur passe devant le tableau, l’image change alors que bien évidemment elle ne bouge pas. Il ne la perçoit pas de la même façon selon qu’il se place d’un côté ou de l’autre, voire en face. Elle est toujours fragile parce qu’elle résulte d’un équilibre et qu’elle peut toujours se casser la figure. C’est quelque chose qui tient, sans que l’on sache trop comment. J’aime cette idée que ma peinture n’a rien d’autoritaire. Et cet équilibre naît nécessairement des traces. C’est la raison pour laquelle je suis si attaché à elles.
Vous avez longtemps travaillé par série. Qu’est-ce qui vous guidait dans cette voie ?
Je travaillais en série parce qu’il me fallait un prétexte pour peindre. Je partais d’une forme quelconque, une tache par exemple, et je me mettais dans la peau de quelqu’un qui n’a jamais peint et qui va faire une deuxième tache, qui va ensuite essayer d’accorder les deux, puis en peindre une troisième, voir que la deuxième ne va plus et la recouvrir, etc. Pour moi, la peinture a toujours commencé de cette façon. Je pouvais aussi prendre les trois couleurs primaires puis, dans un second temps, trois couleurs secondaires et les compléter par une ou deux autres pour venir casser l’ensemble. Je n’ai jamais fait appel à des éléments perfectionnés ou à la technologie. Un pinceau, c’est tout ce qu’il y a de plus simple, ce qui me permet d’avoir l’esprit libre, dans un format délimité, duquel je ne déborde pas.
Aujourd’hui j’ai moins besoin de ce cadre que constitue une série. Je sais que je peux me lancer plus facilement à l’aventure avec le souvenir d’un motif sans savoir ce qu’il va devenir d’une toile à l’autre, alors que dans la série il y a une récurrence nécessaire. Je pouvais partir d’une tache, comme je viens de le dire, mais aussi d’un trait, d’une transparence parce qu’il me fallait un alibi de départ pour tenir le choc, tenir la distance, se dire « on commence là, on termine là-bas ». Et puis, sans doute aussi en vieillissant, on se sent plus en confiance, on a moins besoin de parapets et on peut se lancer plus spontanément, comme s’il s’agissait d’une sorte de haïku. Hop, la trace se fait et voilà elle est là, elle se tient, elle me convient, elle cristallise un petit moment. Cela me satisfait de parvenir à peindre cette trace qui prend en compte tout ce dont j’ai envie, tout ce dont j’ai besoin et tout ce qu’une peinture me semble devoir contenir.
En fonction de ce que vous venez d’évoquer, cette spontanéité du geste, de la trace, cette immédiateté dans la réalisation que vous revendiquez, comment vous positionnez-vous par rapport à certains peintres abstraits américains, comme Franz Kline, Robert Motherwell… ?
Cette peinture expressionniste américaine m’a toujours intéressé par son lâcher-prise, en opposition avec une abstraction française qui peut, de temps en temps, m’agacer justement par son excès de contrôle, son aspect presque propret. Elle est certes très bien réalisée, mais il lui arrive de manquer de ce souffle, de ce laisser-aller, de cette spontanéité dont je viens de parler…
Et par rapport au mouvement de la Pattern Painting, et notamment Robert Zakanitch… ?
Évidemment, cette tendance m’a toujours beaucoup parlé, concerné et bien sûr questionné. Je vais d’ailleurs depuis longtemps voir les expositions autour de ce thème. Mais dans cet état d’esprit qui pourrait tout à fait me convenir, il me manque quelque chose, un brin de liberté, d’abandon. Comme j’ai toujours du mal à trouver le mot juste, j’emploie souvent le terme italien sprezzatura, une sorte de nonchalance. Baldassare Castiglione parlait très bien de cette posture dans son ouvrage Le Livre du courtisan, daté du XVIe siècle ! Je trouve que la Pattern Painting cherche à cocher trop de cases. Je ne veux me situer ni dans le même registre décoratif, ni dans une critique de quoi que ce soit comme ce mouvement peut le faire. Et ce, même s’il m’arrive de peindre des motifs qui peuvent paraître comparables mais que je n’utilise pas dans le même sens, dans le même but. Je le répète, je ne m’attache qu’à des souvenirs de motifs qui ne sont que de simples prétextes pour peindre, sans intention, ni concept particulier derrière.
Vos toiles témoignent d’une grande variété chromatique que l’on sent constitutive de votre démarche. Comment travaillez-vous la couleur, quelle valeur lui accordez-vous ?
Elle vient sans a priori, pour moi il n’y en a pas une qui prime sur une autre. La couleur commence à exister quand elle en rencontre une autre, quand il commence à y en avoir deux, déjà, et évidemment ensuite plusieurs. Dit autrement, la couleur n’existe que dans son rapport aux autres, sinon, seule, elle n’a pas de valeur.
Comment les choisissez-vous ?
Il n’y a rien de préétabli, je choisis tout simplement au gré de mes envies. Et j’essaie toujours d’aller contre ce qui me paraît facile, attendu, c’est-à-dire que si une couleur me semble évidente, je me dis que c’est trop facile et j’en prends automatiquement une autre sans savoir ce qui va se passer. D’ailleurs, j’aime quand les éléments, et bien évidemment les couleurs, rentrent en conflit. J’aime ce qui ne va pas dans le droit chemin, j’aime les chemins de traverse. J’aime quand les couleurs ne vont pas ensemble, que rien n’est convenu. Ce qui n’est pas toujours simple à obtenir parce qu’à force de passer des heures et des heures sur les tableaux, on sait ce qui peut bien aller, ce qui va fonctionner parfaitement. Mais justement, l’enjeu est là, il faut se faire violence, se perturber dans son confort, aller à l’encontre de ce qu’on connaît. Je me dis chaque fois qu’il faut que je conteste mon savoir-faire, parce qu’au bout de trente ans il y en a un, et que je vais réussir en allant dans la direction opposée de l’évidence. Alors certes, je prends un risque, mais il est mesuré, je ne prends que le risque de me tromper, le risque de foutre un tableau en l’air, ce qui n’est pas rien lorsqu’on a passé du temps dessus, mais il y a pire.
Que faites-vous dans ce cas-là, vous jetez tout ou vous insistez en vous disant que justement le tableau va garder la trace, l’histoire de l’errance ou de l’échec ?
Je choisis toujours la seconde solution. Il faut que je fouille, que je trouve une voie pour m’en sortir. C’est cela que raconte le tableau, il raconte sa propre genèse. Si l’on regarde bien certaines toiles, on s’aperçoit que je suis tellement à bout sur le verso que je suis obligé de peindre de l’autre côté, au recto. Donc je retourne le tableau et je continue, cela se passe ainsi.
Vous ne jetez jamais une toile qui ne vous convient pas ?
Non, parce que je pense toujours que je vais trouver une solution. Car ce n’est jamais vraiment complètement loupé, c’est simplement qu’à un moment cela ne me convient pas, que le résultat me semble pataud, trop lyrique, trop expressif. Une gesticulation plutôt qu’une gestuelle. Dans ce cas, j’enroule les toiles en question et j’attends de les retrouver plus tard. Elles peuvent rester ainsi en gestation, en jachère jusqu’à ce que j’aie envie de les reprendre.
À une époque, il m’est arrivé de les découper, de prendre les morceaux qui m’intéressaient et de les assembler, de faire des collages en quelque sorte. Mais j’ai vite trouvé qu’il y avait un côté facile dans ces « raboutages », pour reprendre le terme cher à Claude Viallat. J’arrivais toujours à faire en sorte que ça marche. Or le must c’est d’arriver au résultat souhaité en une seule fois et que l’on ne sente pas trop la sueur, l’effort pour surmonter ce qui n’a pas fonctionné d’un premier jet. Toute ma démarche tend vers la recherche d’un équilibre à la frontière du déséquilibre, un équilibre entre lignes droites et lignes tordues, entre le dur et le mou, entre le transparent et l’opaque. La tension naît de ce mélange, de cette conjugaison des contraires, de quelque chose qui est prêt à se casser la figure mais qui ne se la casse pas.
Depuis quelque temps vous variez les formats et vous travaillez même sur des toiles de grande taille. D’où vient cette évolution ?
Il y a d’une part l’espace, le volume de la galerie Ceysson & Bénétière à Saint-Étienne, dont il faut nécessairement tenir compte. Si j’ai réalisé à cette occasion de plus grands formats, ce n’est pas pour faire grand mais parce que je voulais qu’il y ait un vrai rapport d’échelle et qu’il y ait une cohérence entre ce que montre le tableau et sa taille. Il faut que le format soit lié à ce qu’il y a dedans. D’autre part, dans un tel espace il fallait que j’opte pour un travail varié, ce qui tombait bien puisque, comme je l’ai dit précédemment, j’ai arrêté de travailler en série, ce qui a facilité la préparation de cette exposition. Disposer de formats très variés permet une grande liberté dans l’accrochage. Tout devient possible, ce qui est plus difficile avec des formats très déterminés. Il ne faut pas oublier que sortir ses tableaux de l’atelier et les présenter dans une exposition c’est très important. Il faut qu’elle tienne, il faut la faire vivre et pour cela composer avec les murs, trouver des adéquations, jouer avec des rythmes. Auparavant, avec mes séries, je tenais peu compte de cela. Je faisais mes tableaux et je les montrais, un point c’est tout. S’il avait fallu, je les aurais même présentés à l’envers (rires). Là, j’ai pris plaisir à soigner l’accrochage, à travailler sur place, à ce que tout ne soit pas fait d’avance. Noël Dolla qui, en plus d’être un grand artiste, est un grand accrocheur, m’a au fil des années ouvert les yeux sur cet aspect, il m’a beaucoup appris et m’a fait prendre conscience que je passais à côté de quelque chose de très important.
Si dans un dîner quelqu’un qui n’a jamais vu votre travail vous demande ce que vous peignez, que lui répondez-vous ?
En général, je ne dis pas que je fais de la peinture abstraite. Je réponds que je peins des motifs en couleur, que je fais supporter des motifs les uns à côté des autres. Dorénavant, je dirai aussi que j’essaie de les faire vivre, non seulement à l’intérieur d’une même peinture comme je l’ai toujours fait, mais également d’une toile à l’autre, dans le cadre d’une exposition pensée comme un ensemble et non plus comme une simple juxtaposition de tableaux.
Vers l'ordre des choses
Texte de Colin Lemoine
Pour l'exposition Peindre, Cheminer, Peindre, Galerie Ceysson & Bénétière, Koerich, 2020
Vers l'ordre des choses
Texte de Colin Lemoine
Pour l'exposition Peindre, Cheminer, Peindre, Galerie Ceysson & Bénétière, Koerich, 2020
Elles ne parlent que de ça
Entretien avec Anne Favier
Publié dans Franck Chalendard, Collection Modernes, Ceysson Éditions d'Art, Saint-Étienne, 2016
Elles ne parlent que de ça
Entretien avec Anne Favier
Publié dans Franck Chalendard, Collection Modernes, Ceysson Éditions d'Art, Saint-Étienne, 2016