De la ligne aux lieux
De la ligne aux lieux
Par Patrice Charavel, 2007
Directeur du Musée des moulages et du Service culturel de l'Université Lumière Lyon 2
Surpris de rencontrer un tel lieu, les visiteurs ont toujours un moment d'inquiétude devant une douce étrangeté qui les étreint. D'un temps nouveau, le nôtre, surgissent les restes d'œuvres presque oubliées...
Nous sommes dans un musée, le Musée des moulages de l'Université Lumière, une halle pleine de sculptures antiques, là posées. Qu'est-ce qui lui donne cette étrange beauté ? L'espace ouvert, large ? Ces sculptures posées au petit bonheur ? Que font-elles ici ?
Un espace plein, plein de sculptures – d'une collection héritée du XIXe siècle arrivée ici, jusqu'à nous – qui semblent vaquer à quelques moments d'éternité.
Et cette présence si incongrue surprend et ravit. Ce lieu, ancienne usine, n'est pas l'entrepôt caché d'un oubli honteux et coupable. Non, elles sont en pleine lumière. Richesses recélées en un coin de ville, elles sont postées comme en attente d'être regardées. Et voilà que notre regard surpris les exhibe !
Alors une à une nous les reconnaissons, comme sorties de notre longue histoire, si dense, si lointaine, si inconnue. Cette collection est bien réelle, comme l'est toute fiction. Elle nous raconte notre mémoire et notre imagination. Elle nous raconte ce que d'autres hommes ont inventé et que la poussière de plâtre, blanche et figée nous restitue. Le Musée des moulages nous laisse sans voix, perdus dans l'écho lointain de nos fantaisies.
Et ce vertige devant l'amoncellement a étreint un homme qui "passé" par là. Frédéric Khodja, un visiteur tout flottant d'attention, a redécouvert ce qui était si près de nous.
Ces re-captations d'images, ces croquis et ces inventaires illuminés font de Frédéric Khodja un artiste "visionnaire", car il nous redonne à voir ce que nous aurions perdu de notre vue ici-bas et ailleurs sur la terre entière, (et comme au ciel...). Il a ouvert les "archives" de notre regard et en maître aguerri de ces randonnées dans les terres de l'image il nous convie à nous délier de nos aveuglements.
Dans chacun de ses pas où il nous guide subrepticement, il nous initie aux déplacements intimes de son regard. D'une pièce à l'autre, par des effets de basculement, de cadrage et de "zooming" il nous attrape par le sentiment d'une cruelle nostalgie et l'envie de revenir vers un parfait espace intérieur. Voyageur du temps et des figures, il nous ouvre à ses points-de-vues et de-fuites et nous entraîne malicieusement dans ses sombres architectures.
Frédéric Khodja est un passeur obstiné qui s'en va chercher, dans ses archives d'amour et de doute, de ces lignes qui ensemble nous relient en tous lieux à la communauté des hommes, des pierres et des cimes.