Extrait de
Journal Le Monde, juin 2018
À propos de l'exposition « Devoir de mémoire », La Chaufferie, Strasbourg, 2018
Gaëlle Foray et Jean-Xavier Renaud sont deux jeunes artistes, elle née en 1978, et lui en 1977. Lui a été vu dans quelques expositions déjà, dont « Dynasty » au Palais de Tokyo, en 2010. Elle n'a pas encore été montrée comme elle le mériterait. Ils le sont ensemble par l'École des arts décoratifs de Strasbourg, où ils furent élèves. Il est vrai qu'ils n'ont pas choisi la facilité pour se faire connaître. Ils ne se sont établis ni en région parisienne ni dans une grande ville, mais dans le Haut-Bugey, à Hauteville-Lompnes (Ain). La plupart des artistes préfèrent, du moins à leur début, la proximité des galeries et des institutions. Ils ont fait le choix inverse.
Et ils en ont fait un autre, plus risqué encore : leurs œuvres – assemblages pour Foray, peintures pour Renaud – tiennent la chronique de la vie dans ces lieux que l'on appelle aujourd'hui périurbains : un sujet absent de l'art actuel, en France du moins. Et un sujet qui touche à la politique locale autant qu'à la nationale – cette dernière vue à la télévision –, à l'économie et au tourisme, aux angoisses et aux fantasmes ordinaires. Par exemple : la peur de l'étranger, d'où qu'il vienne, le sexisme, le culte de la bagnole ou l'homophobie, entre autres passions mortifères.
[...] Nombreux sont les artistes qui se disent aujourd'hui politiques, au point que la revendication tourne désormais à la mode. Politique, Renaud l'est, lui, sans détour, sans crainte de déplaire, non sur le mode de l'allusion distinguée, mais sur celui de la satire poussée jusqu'à l'obscène et au burlesque. Il y a du George Grosz et de l'Otto Dix en lui.
Mais il sait aussi peindre des paysages fantastiques et intensément colorés. Celui qui s'intitule Le Réchauffement climatique, bien qu'il annonce donc le désastre, est une splendeur et un instant d'accalmie dans la tempête que fait souffler Renaud. Dans un premier temps, on se dit qu'il en est de même des assemblages de Gaëlle Foray : de la douceur, de la beauté. Elle emploie des matériaux naturels, précieux : géodes, cristaux, fossiles, coraux. Mais aussi des gravats, de l'asphalte, des animaux en plastique et les bibelots que vendent les boutiques de souvenirs, coquillages vernis sur socle de faïence ou de résine.
En insérant des personnages découpés dans des photographies, elle change ces petites constructions en paysages, en récits ou en allégories. Ainsi complétée, une rose des sables devient une représentation du tourisme exotique tel qu'il est vendu par les voyagistes, et un tigre en plastique, sur lequel sont collés des fossiles de crinoïdes, le symbole de la nature malade. On ne s'étonnera pas qu'il voisine avec une vache probablement folle. Cet art singulier est trompeur. De loin, il se pare des grâces du quartz, de la calcite et du corail blanc. De près, il donne à voir le monde actuel dans des saynètes désespérantes de vérité.