Guillaume Janot
Dossier mis à jour — 23/09/2024

Faux-semblants

Faux-semblants
Par François Piron, 2023
Pour l'exposition Faux-semblants à la Galerie Alain Gutharc, Paris

Le projet avoué de cette exposition est de naviguer parmi trois décennies de l’œuvre de Guillaume Janot, pour en éprouver, non pas les contours, mais plutôt les lignes de force et les lignes de fuite : il s’agit de la parcourir en zigzags en empruntant des sentiers de désir qui connectent étonnamment des zones supposées disjointes de cette œuvre. En faisant un bilan des œuvres conservées par la galerie Alain Gutharc au fil des années, dans le but de produire de nouvelles associations, on se rend compte que lorsqu’il s’agit de photographie, le nombre des œuvres physiques est démultiplié par le coefficient des œuvres potentielles, celui des images prises mais pas tirées, contenues dans des classeurs de négatifs et des disques durs de fichiers. Et dans le travail d’un photographe comme Guillaume Janot, pour qui le sens du « déjà-vu » est une stimulation à prendre une image et à capter une situation, le nombre des images est incommensurable et cette démesure invite à augmenter la confusion : dans cette exposition, par conséquent, on se permet non seulement d’assembler sans chronologie des images détachées de leurs séries respectives, de revoir des œuvres de longue date, mais aussi de tirer de nouvelles images et de composer de nouveaux ensembles avec des photographies prises à des périodes et des lieux distincts.

Si le travail de Guillaume Janot résiste singulièrement au temps, c’est peut- être parce que celui-ci s’intéresse moins à la vraisemblance qu’aux faux-semblants du monde qu’il traverse dans ses micro et macro déplacements : il aime photographier en déambulant dans les rues, en bas de chez lui, que ce bas de chez lui se situe à Nantes, à Paris, à Lyon ou à Beijing où il a résidé depuis le début des années 2000, mais apprécie tout autant l’idée de campagne photographique, c’est-à-dire de se rendre dans un endroit donné (à Belfast, à Berchtesgaden, à Seveso ou sur le site de l’usine AZF de Toulouse, et à beaucoup d’autres endroits) pour éprouver les manières dont un territoire conserve les traces somatiques de l’Histoire, que la tâche du photographe est de détecter et de cadrer, souvent en décentrant son regard. Les faux-semblants que capte Guillaume Janot sont les chausse-trapes et les stratifications du réel, sa capacité d’imitation, ses copies en série, qui sont autant de tentatives de dissimulation et de camouflage, c’est-à-dire d’adaptation et de manières de survivre, aussi bien du monde humain que du monde végétal. Ses images affirment une réticence à faire événement, à dire « voilà, c’est ça », car il sait que derrière chacune d’entre elles se cachent d’autres images, mais aussi une réalité vécue qui « n’y est pas » et à laquelle se substitue une archive, qui est notre unique monnaie pour explorer la réalité. Guillaume Janot s’est intéressé aux faux-semblants construits, ceux qui provoquent le trouble et la désorientation à travers les paysages en trompe-l’œil caractéristiques du « parc mondial » et de son organisation pour sembler, où que l’on soit, à la fois familier et exotique. Il s’est intéressé tout particulièrement à la manière dont notre appropriation de la nature est médiée par l’image. Mais Guillaume Janot a lui-même fabriqué ses propres jeux de miroirs, en travaillant tous les genres simultanément, du portrait au paysage à la nature morte, avec toutes les variantes, de l’image trouvée à l’image composée, en passant par les images consenties, celles qu’il demande à ses modèles, qu’il s’agisse de ses proches ou de personnes croisées au hasard, de rejouer après les avoir vu se construire sous ses yeux.

Parmi les multiples modes de relation qui peuvent exister entre les artistes et les curateurices, et qui parfois s’apparentent aux attractions foraines, de l’auto-tamponneuse aux montagnes russes, sans parler de la maison hantée, Guillaume Janot m’a laissé depuis de nombreuses années être simplement son ami. Cela m’a permis d’observer son travail sans hâte, dans le détail mais aussi dans le temps, et de souvent me surprendre à observer le monde avec son regard. C’est ainsi que nous avons construit cette exposition.

© Adagp, Paris