Guillaume Perez
Dossier mis à jour — 17/12/2019

Dédale

Dédale, par Martial Déflacieux, 2016
Publié dans la revue ÇA PRESSE n°67, éditée par l'URDLA - Centre international estampe & livre, Villeurbanne,
pour l'exposition Doppelgänger avec Alex Chevalier

Le dédale est l'espace de la perte. Dans Doppelgänger, il y a cette sourde et éloquente contradiction de ce qui se perd et de ce qui se complète. La perte de signal, la disparition des signes, leurs transformations en formes célibataires sont quelques-uns des attributs significatifs de la modernité artistique telle qu'elle s'est développée depuis le début du XXe siècle et telle que l'on peut les retrouver dans les œuvres présentées. Mais Doppelgänger c'est aussi l'histoire de ce qui se complète, écriture à quatre mains, c'est cette eau-forte dont la plaque à graver a circulé par voie postale de l'adresse de Guillaume à celle d'Alex. Cette exposition est celle d'une circulation, la perte et la complémentarité en donnent le sens.

Le dédale emprunte son nom de l'architecte grec qui enferma le Minotaure, mais on peut le considérer également sous l'angle d'un espace qui ralentit. La lenteur est nécessaire, fondamentale même à la compréhension des œuvres et surtout à leur latence, car Guillaume comme Alex ont le souci du détail. Ce qui semble homogène, ce Doppelgänger dont il est précisément question, est un double dont l'apparition se constitue elle-même d'un duo qui se différencie sur de nombreux points. L'homogénéité apparente ne résiste pas à la lente considération de ce qui est proposé à l'exemple du traitement de la présence.

Les deux artistes manifestent une présence humaine de façon presque opposée. Alex Chevalier va tracer au stylo bic d'incessantes lignes dont la gestuelle est celle de l'entêtement, de la répétition et de l'absence de motifs. Ces lignes sont comme autant de résignations, mais aussi de manifestations, de prises de positions. Ces lignes sont engagées, mais dans une perspective à l'horizon si infini qu'elles en perdent la raison pour devenir une poétique ; celle de l'action. Au trait du stylo répond un souffle d'encre fixé sur la pierre à lithographie. Guillaume Perez fixe l'immatérialité, arrête le temps, surprend l'inutile dans sa capacité à rayonner, à s'affirmer dans sa fragilité. Il s'agit là d'une trace définitive au prolongement impossible et à la genèse disparue. C'est en quelque sorte l'indice d'une disparition, une résistance précaire qui reconnaît son inefficacité, son absence de capacité à se transformer, à devenir autre chose et à rester sur le seuil de ce qui la constitue.

On pourrait prolonger ces descriptions car elles décrivent plus globalement les contours de la démarche respective des deux artistes. Les œuvres de Guillaume résistent, celles d'Alex manifestent ; cela va évidemment de pair, on comprend bien l'intérêt pour tous les deux de se réunir ici. On voit bien ce qui se produit : la connivence, la correspondance, mais aussi les différences. L'ensemble, c'est ce troublant et attirant Doppelgänger, concept par ailleurs largement utilisé par le psychanalyste Otto Rank qui considérait que ce que nous produisons à l'intérieur modifie la réalité extérieure. Une des qualités principales de ce dédale est justement de nous ouvrir à l'attention requise pour percevoir le réel autrement.