Sfumato – Vertigo du blanc au vide
Sfumato – Vertigo du blanc au vide, par Anthony Lenoir
Texte de l'exposition Sfumato Vertigo, Centre d'Art Contemporain de Flaine, 2015
Fumée blanche et rideau noir, de la neige au néant, entre sfumato et vertigo... la constitution d'un espace autonome.
Ici la référence est double mais elle provoque le même effet : une perte sensible des repères. D'un côté, le Sfumato. Celui-ci est introduit dans la peinture par Leonard de Vinci pour fabriquer un effet atmosphérique permettant de créer la perspective par la disparition progressive des éléments dans une sorte de brouillard chromatique qui laisse le spectateur dans une indéfinition de l'espace. De l'autre côté, Vertigo. Ce syndrome mieux connu sous sa traduction de "vertige" est l'appréhension ressentie par une personne ne pouvant plus qualifier l'espace dans lequel elle se trouve.
Une fois cette brève introduction faite, il nous faut entrer. Très vite, nous sommes face à un mur blanc sur lequel sont accrochés deux dessins en noir et blanc. De longs couloirs à l'esthétique bureaucratique sont mis en mouvement par un damier qui compose l'essentiel du paysage donné à voir. Ce même damier nous projette dans un espace en évolution sur lequel reposent justement nos pieds. L'effet est garanti. La sensation s'appelle le vide mais un vide tourbillonnant. De l'autre côté de ce même mur, se trouvent deux autres dessins et le sol sur lequel nous nous mouvons est lui, de plus en plus atteint par la transformation d'une partie du carrelage passant du blanc au noir.
À notre droite, un mur sombre sur lequel est accrochée une série de six cadres remplis de "matière grise". Un graphique ouvre des pistes vers une explication sommaire. Les six cadres ont été engendrés par une fusion ou inversement. La ligne temporelle nous apporte plus de précision : chaque cadre est une "unité autonome" apparue l'une à la suite de l'autre d'une même fusion. En observant à nouveau les cadres, et plus précisément la matière qui les compose, le papier fait définitivement référence à la bibliothèque qui habite elle aussi le centre d'art de Flaine. Le lieu produit la matière première des pièces de l'exposition.
À gauche, plusieurs éléments nous interpellent. Quelques plantes sont disposées de manière incongrue dans l'espace.
Plus alarmant, une série de chaises noires semblent s'être échappée d'une petite pièce, au fond de la salle ; pièce d'où provient également un "bourdonnement". En nous approchant, c'est une radio qui émet ce son monotone et dérangeant.
Au mur, ce qui pourrait être une horloge, car elle en a la forme ronde et occupe son emplacement habituel, ne peut remplir sa fonction car les aiguilles ont été remplacées par un disque opaque blanc dans lequel s'inscrivent les "variations climatiques de l'extérieur" pour reprendre les mots de Johan Parent. Comme dans une salle d'attente, le temps n'est plus, il part en fumée ou, ici, dans une tempête de neige de saison !
Pourtant, d'une certaine manière, les choses s'éclaircissent à mesure que nous divaguons dans cette exposition. Notre présence est mise en mouvement par les objets du lieu qui nous accueille. Est-il si accueillant ? Les miroirs convexes sont motorisés et semblent suivre nos déplacements pour nous renvoyer continuellement une image de notre présence, les néons qui éclairent les dessins ne sont plus raccordés aux prises électriques et lorsque nous pénétrons enfin dans la dernière pièce en poussant le rideau noir, nous nous retrouvons face à Fog, une vidéo d'un lieu similaire à celui dans lequel nous errons depuis plusieurs minutes. La seule différence, c'est notre absence et cette fumée blanche qui, sortant du rideau noir, remplie progressivement un espace qui s'est libéré de notre nécessaire présence.