Texte du Dr Gérard Amiel
Texte du Dr Gérard Amiel
Médecin psychiatre et psychanalyste, Directeur de la revue Les Feuillets Psychanalytiques, 2021
La question fondamentale concernant Johann Rivat dans son art n'est pas tant celle de se demander : que peint-il ? Que plutôt : mais comment s'y prend-il pour provoquer chez le profane ce vacillement magnifiquement fécond et rigoureux comme une mathématique, qui replace à chaque fois chacun des visiteurs dans l'humilité nécessaire de sa condition ?
Pas tant moment de redécouverte mystique, qu'au contraire, réaffirmation si précieuse en notre temps, de la dimension du sacré qui se doit de nous habiter, fut-il d'ailleurs parfaitement laïque, mais en vue que la vie perde un peu de sa lourdeur de plomb que le pragmatisme ambiant s'emploie à exalter, afin qu'elle redevienne selon l'aspiration modeste de tous, enfin quelque peu viable, oui, respirable. Nous dirions que notre peintre se plaît à ré-injecter dans son acte, cet Autre que la science comme la paranoïa, s'appliquent à forclore. Il nous donne un remède, car sa démarche relève du don, nous applique un baume bienfaisant pour panser les plaies que la modernité s'ingénie à réouvrir incessamment. Ainsi, sait-il dans l'habileté de son savoir faire, dans ce qui relève de sa techné diraient les Grecs antiques, à la frontière fragile entre art, artisanat et technique, rendre supportable de nous conduire juste au bord d'un gouffre, non pour nous y précipiter, mais pour nous rappeler dans sa générosité légendaire, que c'est de lui qu'émane toute invention possible, tout style qui vaille vraiment, en bref qui s'origine d'abord de la béance naturelle du langage par laquelle nous sommes avant tout des êtres de paroles. Car s'il y a profusion évidente en ce monde, de peintures décoratives qui n'engagent rien de ce qui précède, mais seulement le commerce, la peinture véritable tente d'atteindre la part du savoir insu que les mots ne parviennent pas à articuler de l'inconscient. Et ce n'est pas peu dire. Car, il n'y a sans doute pas à tergiverser, énonçons le tout net : cette fonction ne délivre-t-elle pas un répondant absolument indispensable à celle de la psychanalyse ?
Une fois de plus, Johann Rivat nous offre, dans cette très belle exposition, car c'est essentiellement un cadeau qu'il nous fait, non pas seulement le dédale savant d'un parcours, mais une attention portée à chaque toile en son format monumental, de sorte que le regard de celui qui déambule en quête de ce qui va nous être révélé et que nous allons apprendre, n'est jamais abandonné, laissé pour compte, renvoyé à ses propres errements, mais littéralement pris par la main pour retrouver de façon contemporaine et aussi intemporelle, les incontournables de notre culture qui vont impeccablement avec ceux de notre structure, ce qu'il tisse grâce à son génie à travers des mythes, ou des figures centrales du monothéisme qui ont vectorisé les 2000 ans du trajet théologico-politique que l'on sait.
Je laisse aux spécialistes l'exégèse de l'œuvre pour m'intéresser plutôt chez lui à comment la précision si fulgurante du geste vient nouer pour celui qui regarde son travail, quelque chose de notre présent à un retour de ce que fut pour chacun dans le passé l'apprentissage premier de l'écriture et par quoi, la neurologie moderne nous apporte maintenant quelques lumières. Cette discipline médicale en effet nous le fait savoir depuis peu de temps - aires associatives et compagnie : c'est par l'apprentissage de la main qui doit s'astreindre à tracer les lettres ou leurs pendants, les figures, qu'une révolution anthropologique s'est opérée chez l'humain - on pense au virage provoqué par l'illustre poussée de l'art pariétal par exemple dont les ornements nous rappellent cette émouvante naissance. Johann Rivat nous fait revivre ce processus par lequel se gravent les premiers linéaments de ce qu'il y a de plus haut en l'homme et pourtant qui ne lui est pas si explicite, à savoir son élévation inattendue, voire son surpassement inespéré dans la dimension décisive du Symbolique. Comme le démontre à contrario l'engouement actuel pour le numérique et son organe débilitant, le clavier, lesquels vont à l'encontre du jeu formateur premier des lettres, puisque sans ce travail répétitif de la main qui trace puis trace encore, aucune chance que la symbolisation ne devienne un jour possible. Que peut-il y avoir de plus grave ? De la sorte, que ferons-nous de notre civilisation ? De notre transmission ? Que léguerons-nous à nos enfants ? Est-ce réellement de ce monde décadent et in-éduqué dont nous voulons ? De ce déferlement sauvage pour ne pas dire barbare ? La question mérite d'être posée clairement et l'œuvre de Johann Rivat dans son ensemble, ce qui n'est pas peu dire, nous démontre une volonté de se diriger exactement dans le sens contraire. C'est pour cela que nous pouvons formuler qu'elle est à jamais résolument subversive.
Ultime chose, le comble c'est que notre peintre ne prend jamais la pose dans son acte. Il l'accomplit, un point c'est tout. Il le réalise sans le savoir. N'est-ce pas d'ailleurs là le ressort principal de ce que l'on appelle amour ? N'aime-t-on pas toujours en vertu de cette part qui est ignorée chez l'autre, qui méconnaît le pourquoi, comme le comment et tout autant le motif de ce qui définitivement l'anime ? Voilà donc la raison suprême qui au-delà de son incontestable talent, fait qu'on l'aime et que l'on ne peut qu'aimer, son admirable travail.