Maïté Marra
Dossier mis à jour — 25/09/2023

Got a match?

Got a match?
par Blandine Devers, pour l'exposition DURGENCE LAMOUR, URDLA, Villeurbanne, 2020

Lise il faut attiser le poêle qui s'éteint
Guillaume Apollinaire, « Les Femmes » in Alcools

Sur la boîte qu’elle tend, à son prochain en quête de lumière, ses initiales, M. M.

Dans la nuit froide, la nuit danoise, la nuit de mille huit cents, une petite fille épuise ses dernières allumettes. Chacune convoque un scénario – chaleur, banquets, sa grand-mère retrouvée. Elle invente le cinéma. Le rideau tombe. Tout n’était que projection. Les ténèbres ont gagné.

À URDLA, Maïté Marra joue avec le feu. Dans la nuit de presque hiver, des passants s’enfonceront dans les méandres des archives. La lumière du scanner, rejouée par les écrans, effleurera l’instant. La lumière froide de l’aliénation administrative, des plus douloureux diagnostics, rejoint la flamme ardente.

Maïté Marra imagine que le réalisateur de North by Northwest, Alfred Hitchcock, est aussi le spectateur de Only Angels Have Wings et que les deux films se font écho. Entre tragédie et comédie, le motif de l’allumette ponctue le deuxième cité. Cary Grant, qui y joue Geoffrey Carter, pilote, n’en possède pas, il doit sans cesse quémander l’objet. À l’origine du feu sacré :
CARTER. – Got a match ?
BONNIE.– Don’t you ever have any ?
CARTER.– Don’t believe in laying in a supply of anything.
BONNIE.– Matches, marbles, money or women ?
CARTER.– That’s right.
BONNIE.– No looking ahead – no tomorrows – juste today ?
CARTER.– That’s right.

Mal engagé, malentendu, méprise, épuisement. Le cran d’arrêt à l’exacte mesure exponentielle. Faire feu de tout bois.

DURGENCE LAMOUR est un cri silencieux. Everywhere. Nulle part. La grande illusion. Invitation. Arnaque ! Sous-tend. Se dérobe. Se tait. Se joue. Pudique. Hurlé. Absent. Polymorphe. Épuisé. Renouvelé. Feint. Multiple. Échappe. Enserre. Déborde. Se heurte. Insaisissable. Incontrôlable. Surgit. Resurgit. Luminescent. Se camoufle. Travesti. N’en finit point de mourir, n’en finit pas de renaître. Inépuisable boucle. Quête de vitalité. Sentiment polichinelle.

Tenir hors de portée des enfants.

Dites moi à quel feu à vous vous brûlez, je vous dirai qui vous êtes.

Alfred Hitchcock, North by Northwest (La Mort aux trousses), 1959, 136 min.

© Metro-Goldwyn-Mayer et Loew’s Incorporated

Méfiez-vous des clichés, des archétypes. De la plasticité de Cary Grant. Sachez déceler le trouble dans la sûreté la plus assurée. Des initiales peuvent être matrices. Maïté Marra craque ses allumettes à la surface du cuivre, de l’encre, de la feuille… mouillée. Pour que ça matche, le taille-doucier sait qu’il faut que le papier soit amoureux. D’un baiser l’éprouver. Maïté Marra s’empare de la technique de l’estampe la plus manuelle, la plus tactile.

Un souffle s’écrit, dit l’autre. Relie des feuillets mobiles. À caresser.

Il n’y aura de film que si vous acceptez de vous prêter au montage. De devenir personnage. Tenter de faire figure. Vivre, un peu plus loin, de fiction en fiction.

CARTER.– Oh… got a match ?
BONNIE.– Say, don’t you think it’s about time you started carrying some ?

C’est elle. Qui souffle la flamme de l’allumette. C’est elle encore qui menace Cary à bout portant. Retournement de clichés genrés. Nulle partie n’est jouée d’avance. Il y aura toujours la possibilité de gratter. Et, dans une expiration, éteindre ou étreindre.

Howard Hawks, Only Angels Have Wings (Seuls les anges ont des ailes), 1939, 121 min.

© Howard Hawks, Columbia Pictures