Marine Lanier
Dossier mis à jour — 08/07/2021

Textes

Statement

2021

Texte de Laurence Lochu

Publié dans le catalogue du Mois européen de la photographie, Éditions Paul di Felice et Pierre Stiwer, Luxembourg, 2021

Directrice de l'Institut français du Luxembourg et Commissaire de l'exposition de Marine Lanier, Les Contes sauvages, Abbaye de Neumester, Luxembourg

Repenser, réinventer les paysages extérieurs pour mieux explorer les paysages intérieurs, et raconter les liens qui nous unissent à la nature, à notre environnement : Marine Lanier nous entraîne dans "la dimension lyrique et primitive" de la nature, "pour questionner la puissance sauvage qui nous entoure".  Elle nous immerge dans le végétal en particulier avec sa série de monochromes organiques Eldorado, qui montre la flore épaisse d'une pépinière à l'abandon. La nature est saisie dans son état brut, elle est personnifiée, ses mystères nous happent.

Les photos de Marine Lanier mettent en lumière une végétation primaire, où les éléments surgissent et dialoguent : pierres, roches des falaises, eaux profondes des cascades, terre, glace, mais aussi la peau, le sang. Son univers est un monde sauvage, originel, qui renvoie les êtres à leurs pulsions primitives. Dans la série Le Soleil des loups, réalisée en Ardèche sur un territoire situé au-dessus d'un volcan, Marine Lanier montre deux enfants dont les corps sont en symbiose avec cet espace rugueux et minéral. La photographe a suivi durant trois ans le parcours de deux frères. La nature rustre, indomptable, absorbe magistralement les silhouettes de ces adolescents sans loi. Leurs corps semblent des lianes ou des racines incrustées dans le paysage. C'est le cas aussi avec la série Les Contrebandiers, où les êtres font partie intégrante de leur environnement hostile, ils se fondent dans ces montagnes abruptes, ces territoires inaccessibles, impraticables, tout autant que sublimes.

Les œuvres de Marine Lanier explorent différentes échelles, lointaines ou fragmentaires. Les paysages d'Arménie, extraits de la série Les Lointains, sont de grands déserts calcinés de chaleur. Leurs contours dramatiques racontent les conflits et les massacres invisibles, comme un probable hors-champ. Les panoramas ont été réalisés depuis des surélévations, des promontoires, des falaises, d'où l'on peut embrasser les espaces environnants, prendre du recul, de la hauteur. Et surtout sentir la menace, la tension, qui se jouent sur ces monts et ces gouffres, qui "accentuent l'impression de traque du visible, rendant soudainement inquiétant et opaque des paysages lunaires, où seule affleure une géologie tourmentée". En regard, les close-up bouleversent notre perception de l'échelle. Dans la série Les Contrebandiers, notamment, ils nous perdent dans la possibilité d'un ailleurs, en nous renvoyant à d'autres grands espaces invisibles.

L'utilisation des couleurs chez Marine Lanier convoque la palette du peintre. Les couleurs chaudes s'articulent avec les couleurs froides ou le noir et blanc, les tons chauds évoquent la brûlure du soleil, les tons froids "l'énergie de la nuit, de la neige, du repli". En travaillant sur la série Eldorado, l'artiste explique : "J'ai vu cette couleur de l'or qui filtrait à travers la bâche des serres. J'ai décliné cette teinte, elle résonnait avec cette idée de rêves perdus".
C'est ainsi qu'est née cette magnifique série végétale de monochromes dorés.
Pour les photos en noir et blanc de la série Le Soleil des loups, la photographe commente : "Mon noir et blanc est plutôt gris, comme une cendre qui se serait déposée sur la nature et sur les hommes, une sorte d'hommage au volcan". Les couleurs sont aussi un langage, des symboles. Ainsi, par exemple, le mauve invoque un monde onirique, celui des limbes, situé entre la vie et la mort. "La couleur est ce qui reste. Elle est l'essence, le souvenir, la sensation quand nous ne pouvons plus raconter", dit-elle aussi.

Marine Lanier aime citer des cinéastes qui l'ont marquée et ont influencé ses images, tels que Bresson, Kieslowski ou Boorman et Laughton ; elle a d'ailleurs aussi étudié le cinéma avant d'intégrer l'École nationale supérieure de la photographie d'Arles. Son esthétique, en particulier en ce qui concerne son approche de la nature et des paysages, tisse des correspondances évidentes avec les lieux mystérieux et organiques filmés par Tarkovski, ces espaces indéterminés et habités, à la fois sensuels et étranges, familiers et menaçants.

Les univers qu'elle met en scène semblent comme suspendus dans le temps : ils appartiennent tout autant au passé, au présent et au futur. Chaque série est empreinte d'intemporalité et place aussi le spectateur qui l'appréhende en dehors du temps, parce que dans un espace souvent indéfini. Son "appréhension du temps questionne alors les notions de limite, de transgression, et de métamorphose".

La nature est le miroir de lieux intimes qui racontent des fictions de quêtes perpétuelles. "Le tout entre en collision avec l'autobiographie, elle réverbère alors quelque chose de plus large, de plus grand, qui dépasse le particulier pour se tourner vers la mémoire collective, transgénérationnelle, vers nos mythologies, nos peurs primaires, cosmos invisible."
"Le mythe de l'Eldorado est nostalgie, rêve de paradis perdu. Il décrit souvent un lieu d'innocence naturelle situé dans l'origine des temps. Ici, l'imaginaire de l'île s'ouvre sur une nature sauvage, hostile, spontanée. L'Eldorado est une étape dans l'itinéraire, un monde où les valeurs sont inversées, une traversée aveugle, un refuge temporaire, une contrée fabuleuse."

Le cheminement de Marine Lanier questionne sans cesse le réel, pour mieux le dépasser. Elle ne cesse de tenter de saisir les mystères de la Nature, le miracle d'être en vie. Elle semble traquer les interstices de l'invisible, elle nous livre des contes fantastiques, recrée un monde à la fois subtil et originel, comme pour faire émerger l'irréalité du réel, la réalité de l'irréel. La photographe nous emporte dans les arcanes de l'imaginaire, pour déchiffrer les signes et les symboles en éclosion au sein du paysage. L'aphorisme d'Héraclite n'est jamais très loin "La Nature aime à se cacher" : ces secrets ancestraux, qu'ils traitent des mystères du passage de la vie à la mort ou des miracles impudiques de la nature, nourrissent le travail de l'artiste.

Grâce à la force sauvage de ses photographies, Marine Lanier convoque en nous des émotions profondes, viscérales, touche des zones inconscientes et sensibles, qui nous bouleversent. En démiurge, elle nous emporte au royaume des ombres, laissant planer un voile sur ses paysages larges ou fragmentaires, et en poétesse s'exprime par la métaphore et l'oxymore visuel.

S'opposant à l'attitude prométhéenne (l'homme doit se rendre maître et possesseur de la nature), et prônant résolument l'attitude orphique – c'est-à-dire que seuls le poète et l'artiste sont en mesure de soulever le voile des mystères de la nature1 – Marine Lanier photographie les hommes et les paysages en voilant de sa fiction la réalité, pour mieux nous en dévoiler les secrets enfouis.

  • — 1.

    Le Voile d'Isis, Pierre Hadot (Éditions Gallimard)

Marine Lanier, photographe au bord du réel

Par Luc Desbenoit, Télérama, n°3657, février 2020

Entretien avec Marine Lanier

Festival Les Boutographies, Pavillon Populaire, Montpellier, 2014 (extrait)

Des échos

Par Nina Ferrer-Gleize, 2013
Revue Utopia, Guide Culturel Rhône-Alpes, 2014

Texte de Pascal Thévenet

Pour l'exposition Il ne sentait pas le vin, il sentait la boue, la lie des cuves, Commande de la conservation départementale du patrimoine de la Drôme, Château de Suze-la-Rousse, 2010

Texte de Jean-Christophe Bailly

Revue Inframince n°4, Editions Actes Sud, Arles, 2008 (extrait)