Max Bondu
Dossier mis à jour — 04/07/2024

La part des Macédonia

La part des Macédonia

La physique quantique nous transporte en des univers incroyables où, à coups de trous de ver et d’effet tunnel, la frontière séparant le possible de l’impossible devient poreuse. Reste que nulle chose ne peut s’y néantiser radicalement : rien ne peut jamais devenir absolument rien. Mais les physiciens, eux, disparaissent parfois sans laisser de trace, emportés par un désir fou d’errance définitive. Ce fut le cas d’Ettore Majorana, génial théoricien qui s’évapora un jour de mars 1938, à l’âge de trente-et-un ans. Personne ne sait ce qui lui est arrivé : suicide ? fuite en Amérique du Sud ou dans un univers parallèle ? réclusion dans un monastère ? Le jeune homme a si bien orchestré sa disparition (envoyant préalablement des messages mutuellement contradictoires, donc impossibles à harmoniser) que le mystère demeure. Il apparaît aujourd’hui telle une particule quantique dont la destinée superpose une multitude de trajectoires différentes. Aucune des hypothèses envisageables à propos de sa disparition ne pouvant être considérée comme plus fondée que les autres, la seule chose que l’on puisse dire aujourd’hui, c’est qu’il a disparu à une certaine date (qui est connue), qu’il est mort à une autre date (qui n’est pas connue), et qu’entre ces deux événements le cours de sa vie a pu suivre mille et un scénarios différents, tous aussi plausibles, tous impossibles à départager. […]

— Étienne Klein, extrait de Le philtre des Macedonia, 2017
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Superposition de théories sur la disparition d’Ettore Majorana, reproduction de paquets de cigarettes probablement annotés par Ettore Majorana, anagramme, 2017

En Collaboration avec Étienne Klein


Vues de l'exposition Information quantique, Galerie Jérôme Poggi, Paris, 2017

Homme pâle et frêle, Majorana vivait pour et par les équations. À son époque, les Macedonia qu’il fumait à une cadence d’essuie-glace étaient vendues par paquets de dix. Une fois vides, le jeune homme se servait de ces petits paquets pour y noter telle idée urgente ou effectuer tel calcul pressant, notamment lorsqu’il se déplaçait en tramway :

"Souvent une nouvelle idée lui venait à l’esprit, ou la solution d’un problème difficile, ou l’explication de certains résultats expérimentaux qui avaient jusque-là semblé incompréhensibles. Il fouillait alors dans ses poches, en sortait un crayon et un paquet de cigarettes sur lequel il griffonnait d’absconses formules. Une fois descendu du tramway, il s’en allait, très absorbé, la tête baissée, tandis qu’une grosse mèche de cheveux noirs et en désordre retombait sur ses yeux. Dès son arrivée à l’Institut, il se mettait à la recherche de Fermi ou de Rasetti, et, son paquet de cigarettes à la main, il leur expliquait son idée." 1

  • — 1.

    Laura Fermi, Atomes en famille, mon existence avec Enrico Fermi, Paris, Gallimard, 1955, pp. 62-63.

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Série de masques en aluminium d’après scanner de l’artiste, 2017

En Collaboration avec Étienne Klein


Vues de l'exposition Information quantique, Galerie Jérôme Poggi, Paris, 2017