Le Rectangle – Pascal Poulain
Le Rectangle – Pascal Poulain
Par Keren Detton, 2000
Catalogue de l'exposition Passeurs, Centre d'art Le Rectangle, Lyon, 2000
Modeler le réel...
Trois nouvelles photographies de Pascal Poulain présentent des personnages en équilibre instable portant chacun une paire de chaussures prototypes. Leur design, qu'on pourrait qualifier de futuriste, s'inspire en réalité des canons esthétiques actuels mis en place pour produire un rendement efficace dans la communication de masse. Les matières lisses, les formes arrondies ont un effet englobant et souvent infantilisant. Ces canons se retrouvent de façon omniprésente dans le dessin industriel, la mode, le graphisme ainsi que dans la production dite artistique. L'artiste peut subir ou critiquer ces modèles dominants mais il ne reste pas indifférent. Ici, les chaussures-prototypes nous engagent "à dialoguer avec un futur proche" mais nous semblent tenues à distance. Les personnages auxquels les spectateurs auraient pu s'identifier se dérobent. L'image résiste à l'appropriation directe et instaure de fait un recul critique.
"Une distanciation programmée"
La mise à distance du spectateur est effective dès les premiers travaux de Pascal et selon plusieurs modalités. Prototype (1997) est la photographie d'un abribus au sortir de l'usine, son aspect flambant neuf dans un paysage hivernal lui confère une certaine irréalité. On dirait un jouet dont on sait pertinemment qu'il ne restera jamais en l'état. Tout en témoignant de la présence de l'objet neuf, la photographie nous renvoie à l'expérience que nous en avons au quotidien. Conceptuellement, optiquement ou physiquement, l'appréhension des œuvres de Pascal Poulain rend incertaine la position du spectateur. Dans la photographie Installation (1997), le point de fuite tend à se dissoudre dans l'enchevêtrement des plans (façades vitrées d'architecture). L'artiste s'attache à déstabiliser le regardeur par un jeu sur l'optique de l'œuvre. Il brouille la perspective et perturbe la mise au point. Quant à l'installation Elasticimétrie (1998), elle place le visiteur dans un espace qu'il peut modifier. Fixés verticalement à l'un des murs, des élastiques se répandent sur le sol. A leurs extrémités, des crochets permettent au spectateur de les relier au pan de mur opposé. Aucune position, aucun rôle ne sont prédestinés au visiteur, mais il peut décider de contempler cet agencement ou choisir d'activer le dispositif, de créer des tensions dans l'espace et de mettre en question sa position de regardeur.
Subjectivité et dynamisme
Parallèlement à l'exposition Passeurs, la galerie La BF 15 (Lyon) consacre à Pascal Poulain une exposition personnelle. Ces deux expositions mettent en relief l'expérience de son séjour au Japon. Son travail, alors marqué par les tentatives historiques de dépassement des limites de l'art, s'interroge aujourd'hui sur ce que l'art peut révéler des cultures contemporaines dans une perspective plus dynamique. Ses œuvres se présentent comme des fragments de réalité tirés du quotidien, elles entrent en résonance les unes avec les autres et favorisent un regard subjectif. Elles valent en tant qu'images mentales dont la forte présence a de quoi troubler le visiteur.
Une série de photographies prises au Japon fixe notre attention sur des objets de consommation et des personnages ancrés au sol. Tout paraît figé mais l'atmosphère évoque des agitations passées ou à venir. Pascal Poulain met en avant les éléments dynamiques qui animent la ville, les déplacements urbains et la communication visuelle (pub, signalétique...), tout en se démarquant du flux continu d'accroches publicitaires. Ainsi sa vidéo filmée dans le métro de Tokyo nous fait prendre conscience des rythmes urbains et du décalage qui existe entre la diffusion d'un message adressé à la masse et sa réception par l'individu. Les musiques qui caractérisent chaque station sont devenues partie intégrante du paysage urbain. Qui de l'individu ou du système s'approprie l'autre ?
"Le reflet d'un matérialisme désenchanté..."
L'espace visuel au Japon est aujourd'hui complètement saturé, on imagine donc de nouveau supports publicitaires qui puissent envahir l'espace social. Suivant cette logique, des paquets de kleenex imprimés sont distribués dans la ville. Le message qu'ils délivrent séduit par son impact visuel tout en instaurant une politique d'échange renouvelée. Pascal Poulain investit à son tour ce champ de la représentation et passe une commande de près de 15 000 exemplaires. Cependant, il les détourne de leur fonction initiale par l'adjonction d'une simple phrase : DREAMS CAN BE IMPORTED.
Très rapidement, la phrase inquiète car elle désigne l'espace du rêve comme une nouvelle sphère marketing à conquérir, et met en garde contre une certaine paresse de l'imaginaire individuel. Pascal Poulain sème un doute sur l'objet qu'il présente et fait de la galerie un espace de projection réflexif.
My Home (1999), focus, choix, cadrage...
Le musée fait lui aussi l'objet d'une réflexion sur l'homme et son environnement culturel. Lors de son exposition au musée de Yokohama, Pascal Poulain a installé 6 panneaux (350 x 240 cm) représentant les façades d'une maison pour enfants, agrandie à taille adulte. Le design simplifié et les couleurs très vives semblent caractériser le goût des enfants-consommateurs vu par les multinationales du jeu. Pascal Poulain s'est amusé à retoucher ces panneaux en travaillant leur bidimensionnalité et leur aspect pictural afin d'en tapisser les cimaises du musée. L'image obtenue, monstrueuse par sa démesure, ayant perdu de sa netteté, s'assimile ainsi plus facilement aux productions picturales abstraites. Quant au musée, il a fait peau neuve d'un espace "domestique". Il reste néanmoins géométrique et aseptisé à l'instar des jouets qui tablent aujourd'hui sur une esthétique unisexe modulable. Pascal Poulain nous fait des propositions, c'est à nous de réagir. De cette façon, les notions d'intérieur et d'extérieur, ainsi que celles d'espace privé et public sont à travailler dans la conscience d'une confrontation permanente. L'artiste se place en observateur avisé d'une réalité en changement et d'un monde qu'il nous appartient d'interpréter.
NB : Les citations sont tirées des propos de l'artiste.