Philippe Droguet
Dossier mis à jour — 14/10/2014

Textes

TRAGIQUE

Par Thierry Raspail, 2013
Catalogue de l'exposition Blow Up, Musée d'art contemporain de Lyon, Liénart Éditions

Tout l'œuvre de Philippe Droguet lutte contre le Tragique.
L'Homme, ce mortel anonyme au visage de tous les visages, au visage aussi vite reconnu qu'oublié, ce corps qui est presque rien et pour pas longtemps, il le pétrit Philippe Droguet cet Homme... pour en faire un Reste.
En effet, c'est la règle du jeu, l'homme, ce mortel, pourrit, dégénère, bientôt bouffé par les vers. Il n'en reste rien. Certains le brûlent à sa mort, alors il s'échappe en fumée, puis ses cendres sont dispersées ou conservées en bocaux, mais il ne reste toujours rien.
Alors on croit !
Les milliers de victimes des camps, les hordes, les vies minuscules, tous ces êtres vivants un temps, ne seront jamais que des milliers de mémoires oubliées.
Au futur, consignés dans de vagues registres notariés, ou sur la Toile, on en fera rétrospecti-vement des arbres généalogiques, des traits verticaux et horizontaux, raccrochés à des noms devenus étrangers. Tout l'œuvre de Philippe Droguet lutte contre ce destin. A perte. Mais tout cela affleure.
Au fusil.
De tous ces êtres, on ne sait rien. De l'Etre non plus. La seule chose que l'on sache, c'est qu'il y a comme une enveloppe palpable, avant qu'elle ne disparaisse ; c'est un visage, un corps. Indistinct. Derrière la peau, il n'y a rien ou si peu. La vie ? Ouais, mais bon... ça s'estompe !

Il y a longtemps, dans les années quatre-vingt-dix du siècle dernier, on a vu Philippe Droguet tendre des vessies de bœuf sur des petits carrés minutieusement dressés, tout cela propre et minimal, pour les souiller d'un cercle d'hémoglobine bovine. Propre : Cercle et Carré corrigé à l'image des tortures de toujours et de partout.
La surface, comme la peau, s'oppose à la théâtralité. Michael Fried et Clement Greenberg en ont fait toute une histoire. Courte. On l'a nommée un temps : modernité.
Que faire entre l'objet qui est là et le tragique du monde qui est là aussi ?

Quelle continuité y a-t-il ?

Philippe Droguet travaille inlassablement le matériau, la vessie, la vis, la paraffine, autant de peaux dont il modèle les drapés, découvre le poids visuel et dessine la gravité.
Comment concilier la forme ici et le monde là-bas ? Joindre les deux bouts d'une présence et d'un oubli ? Quelle est la présence, quel est l'oubli ? Coquille ou baignoire, érotisme ou tabernacle, petits objets gentils tissés, façonnés, hérissés, concilient l'attraction et la répulsion.

Mais rien de hideux, rien de dramatique, car c'est la vie qui est dramatique, rien de hideux, que du joli ! Car c'est moins le Beau (qui n'existe pas), que le joli, que recherche Droguet. A moins que ces deux termes ne soient synonymes.
Ce joli visage avec un bouton de fièvre dessus, pas une cicatrice purulente, non, juste un accroc dans le bonheur des choses, juste un truc qu'on sait mais qu'on se cache pour ne pas l'affronter. Ce truc n'est rien, c'est juste un indice, un symptôme, mais il est bien au centre de ce qui gouverne notre vie, c'est un bouton, un petit drame, prégnant et visible, ou une fin annoncée pour ceux qui voudraient la voir. Pas de cicatrice violacée, pas de catastrophe, pas de marque de coups, pas de vacarme mais juste derrière la peau : rien ! La disparition.

Tout l'œuvre de Philippe Droguet lutte avec et contre l'innocence du monde. Le cynisme pour lui n'existe pas ; en ce sens Philippe Droguet n'est pas contemporain, c'est pourquoi il est pour un temps, pour un temps seulement, mais pour un temps au moins, d'aujourd'hui. "Accroître le bonheur d'une vie d'homme, c'est étendre le tragique de son témoignage. L'œuvre d'art (si elle est un témoignage) vraiment tragique doit être celle de l'homme heureux. Parce que cette œuvre d'art sera toute entière soufflée par la mort." 1

  • — 1.

    Albert Camus, Carnets, I., mai 1935 - février 1942, Paris, Gallimard, 1962, p.120

JANUS

Par Anne Bertrand, 2013
Catalogue de l'exposition Blow Up, Musée d'art contemporain de Lyon, Liénart Éditions

PAR-DELÀ, EN DEÇÀ, LA SURFACE

Par Hervé Percebois, 2013
Catalogue de l'exposition Blow Up, Musée d'art contemporain de Lyon, Liénart Éditions