Rémy Jacquier
Dossier mis à jour — 18/12/2024

Texte de Rémy Jacquier

Texte de Rémy Jacquier
Pour l'exposition Augures, Galerie Ceysson & Bénétière, La Chaulme, 2024

Ce sont les compagnies aériennes qui détiennent aujourd’hui la toile de fond de nos paysages sonores et visuels. En ville, dans les campagnes, à la plage comme à la montagne, c’est le surround permanent des avions de ligne. Ça vrombit où que l’on se trouve et toujours. Basse continue contemporaine de jour comme de nuit. Et si on lève un peu la tête, si le regard cherche un peu à trouver de l’espace, on s’aperçoit assez rapidement qu’il est rare de trouver de l’illimité, d’éprouver le ciel à perte de vue. On savait qu’en dessous de la ligne d’horizon, tout paysage était façonné par l’homme. Que nulle nature n’était plus vierge. Il faut désormais étendre cette donnée au-dessus de l’horizon. Un point, une ligne, une trace, un clignotement viennent toujours faire butée, accroche, incise.

Que cela doit être compliqué de tourner un film d’époque sans qu’apparaisse dans le cadre la traînée du Paris-Marrakech, le scintillement du Pékin-Djibouti ou la nuée du New York-San Francisco ! Cut lumineux du bleu à la Fontana ou chemins moutonnants qui nous mondialisent. Qui font que bien qu’étant là, on est toujours rattaché à un ailleurs dans le coin de l’œil. Qui font que l’on n’est jamais seul. Qui font qu’en contre-champ, toujours, un homme, une femme, sans vous voir, vous regarde à travers son hublot. Voyageurs surplombants qui vous accompagnent à plus de six cents kilomètres par heure, laissant derrière eux la blancheur d’un bruit et d’une trace alors que vous crapahutez difficilement un col.

Poussons un peu plus loin l’esprit tête en l’air ou objectivons la chose en la rabattant sur des considérations formelles. Si l’on est un tant soit peu préoccupé par la pratique du dessin. Si l’on sait, par cette pratique, que toute ligne peut contenir et engendrer du sens, que toute trace modifie une surface, la transforme et amène une nouvelle manière de l’occuper, voire de l’habiter. Qu’elle est un vecteur d’apparition et de modification du sens. Alors que peuvent bien signifier toutes ces lignes partitionnantes dans le ciel ? Vers quel ailleurs mènent-elles finalement ? Que dessinent-elles ? Qu’écrivent-elles au fil des jours ?

Les romains tenaient des étrusques les pratiques divinatoires consistant à observer le chant et le vol des oiseaux, la manière dont ils mangeaient ainsi que l’interprétation des phénomènes célestes. Appelées augures, du nom de leurs prêtres, elles ont fondé Rome. Elles ont permis ou évité des guerres. Elles ont choisi l’emplacement des temples.

Alors que nous sommes de nouveau préoccupés par le ciel et ses dérèglements, que le futur s’annonce de plus en plus incertain, qu’il est probable que ce ciel s’affole et nous tombe sur la tête, que regardons-nous ? Des traces d’avions. Des bombardements. Des feux d’artifices. Des fusées de détresses. Des trains de satellites. Quelques étoiles filantes. De plus en plus rarement des oiseaux.

On pourrait tenter de montrer cela. Avec le minimum de moyen. Avec le plus de légèreté possible. Juste quelques grammes de pigments déposés au chiffon et surtout du retrait, de l’effacement pour qu’apparaisse la blancheur du papier. Du très peu avec du moins.

On pourrait se servir de sa mémoire à court terme ; il suffit de lever les yeux et de noter mentalement les qualités de couleurs, l’orientation et le degré de diffusion des lignes. On pourrait aussi, si le retour à l’atelier s’annonce plus tardif, utiliser la photographie comme base de documentation. On pourrait glaner sur internet quelques curiosités. On pourrait aussi extrapoler en imaginant quelque pilote facétieux tracer des notations chorégraphiques, délivrer un message en braille ou en sténo. Ou qu’un autre, plus féru d’histoire de l’art, plus conscient du paysage qu’il traverse et de ses représentations, rende quelque hommage à ceux qui l’ont précédé : Hogarth, Goya, Turner, Degas...

© Adagp, Paris