Sébastien Maloberti
Dossier mis à jour — 14/11/2018

Textes

Texte de Benoît Lamy de la Chapelle

2016

Appréhender l'art de Sébastien Maloberti invite à reconsidérer la manière dont chacun envisage son rapport avec les images, dans un monde où celles-ci s'imposent un maximum de clarté, pour un maximum de retour sur investissement. Les "images" réalisées par l'artiste revendiquent quant à elles la transparence, l'évanescence et l'effacement vis-à-vis des sens. Dépourvues de centre, elles ont la particularité de s'oublier rapidement : en tant qu'images subliminales, elles ne produiraient aucun effet. Ce n'est pas pour autant qu'elles laissent indifférent en tant qu'œuvres d'art. Bien au contraire, leur évanescence interpelle et nous pousse à une seconde lecture/analyse plus approfondie que la première (souvent passive), pour tenter de comprendre ce qu'elles renferment et ce qu'elles émettent.

Il est plus précisément question ici de ses œuvres les plus récentes, une série d'impressions U.V. sur de très fins supports de bois, réalisée à partir d'images trouvées, retouchées mais dont l'origine sémantique - ou le sujet, s'il en est - s'évapore et se dérobe au regard. Elles agissent tels des paysages abstraits en constante transformation, elles évoquent des changements de cycle : l'évolution de l'œuvre vers en autre état plutôt que l'œuvre figée, résistant au passage du temps. Ses travaux ont par conséquent un rapport plus intime avec la cécité qu'avec la précision d'un œil scrutant et révélant un contenu. En atteste la présence significative de nombreux halos ou faisceaux lumineux dans ses impressions récentes, l'apparition dans le néant d'une lumière éblouissante, affaiblissant l'acuité du regard. Cette représentation imagée de la lumière est elle-même mise en abyme par le processus d'impression U.V., soit un faisceau lumineux imprimé par un autre faisceau lumineux, accentuant ainsi l'éblouissement mais aussi l'artificialité du spectre lumineux. Les couleurs utilisées semblent elles-aussi inqualifiables, elles se dérobent et fusionnent en une non-couleur oscillant entre le gris/blanc, le plus clair et léger des bleus, le plus rosé des rouges, tendant vers le blanc qui, comme chacun le sait, n'est pas une couleur mais, ainsi que l'a théorisé Newton "la teinte obtenue en mélangeant la lumière de toutes les couleurs". Aussi, ces couleurs masquent les sujets "figuratifs" derrière des voiles presque opaques, sortes de réminiscences de ces premières encres sur papier, dégradées de noir, ne laissant apparaître que les aspérités accidentelles du support. Alors que l'on s'imagine voir des flammes, il s'agit en réalité de détails de vagues augmentés et dès lors, méconnaissables. Comme le montre Blow up de Michelangelo Antonioni, ce ne sera pas l'agrandissement de l'image qui permettra d'y voir plus clair.

La vague, en tant que flux déferlant, n'est pas anodine dans la pratique de l'artiste. Elle apparaît dans plusieurs œuvres tel un paysage en évolution constante, et symbolise le caractère à la fois vaporeux et éphémère de son esthétique. Il arrive néanmoins que le sujet résiste au voile et laisse entrevoir une narration ou une anecdote, à l'image de ce t-shirt (Sans titre, 2014) sur lequel figurent des noms de domaines libres d'utilisation, laissés en jachère, ou cette plante sans racine (La tillandsia, parfois appelée "fille de l'air") qui se nourrit par ses feuilles et qui se développe sur à peu près n'importe quel support, et semble se reproduire de manière anarchique sur ceux de l'artiste. Cette résistance du sujet peut également se retrouver au stade pictural, lorsque l'artiste choisit d'utiliser un procédé d'impression assez léger pour laisser les aspérités et défauts du support visibles (trous, craquelures, rayures). Se trouve alors révélé le caractère "sans qualité" de ces planches de bois, souvent glanées çà et là, dans des entrepôts abandonnés ou des terrains vagues, et ainsi chargées d'une histoire collective qui lui échappe, mais dont il accepte la part de mystère comme partie prenante de son œuvre.

Ce concept d'œuvres « collectives » est d'ailleurs essentiel dans sa démarche. Il ne s'agit pas là d'interactivité niaise, mais de prendre en compte l'"étant donné", ce qu'un certain contexte va produire sur son œuvre, à l'instar de la bâche de 100 m2 que l'artiste plaça pendant tout l'hiver 2015/2016 sur le sol du hall des Ateliers (espace collectif où vont et viennent artistes, visiteurs, où l'on joue au ping-pong et l'on fait la cuisine...), et qui fut rapidement souillée de nombreuses traces d'origines diverses. L'artiste nourrissait alors l'idée de l'utiliser a posteriori, en la débitant en plusieurs parties, susceptibles de devenir des supports 2D à imprimer pour de futures œuvres. Bien que fondées sur cet esprit collectif (utilisation de matériaux déjà utilisés par d'autres, sélection d'images partagées massivement sur internet, traces de l'activité humaine...), ses œuvres dégagent un profond mutisme, un silence dont rien ne rappelle ces activités et gestes multiples. Cela semble contradictoire de la part d'un artiste passionné de musique, et dont l'exposition Blind Lemon (chez Néon en 2013) fut entièrement consacrée à l'histoire du Blues à Memphis. Même lorsque ses œuvres peuvent être qualifiées de « sonores », leur musicalité nous demeure étrangère comme le montre l'exemple de A (low sound) storm (2015), présentant un véritable casque fermé sur lui-même, diffusant de façon très légère un morceau du groupe Chokebore, quasiment inaudible. Ce penchant entretenu par l'artiste pour la légèreté, la transparence, l'éphémère, le passage des cycles, laissant libre court au hasard, pourrait tout aussi bien se rapprocher du bouddhisme zen, ou du moins de la manière dont John Cage l'appliqua à son œuvre. C'est aussi un peu là que se situe l'art de Sébastien Maloberti, au moment où l'acte de lâcher prise peut aussi faire œuvre.

White cube, blue note

Par Annabel Rioux, 2013
Pour l'exposition Blind Lemon, Néon, Lyon