Vir Andres Hera
Dossier mis à jour — 13/10/2022

Texte de Yannick Haenel

Texte de Yannick Haenel, 2017
Extrait de Panorama 19 - Roman : l'élégance, la science, la violence !, sous la direction de Jean de Loisy, publié aux éditions Le Fresnoy, Tourcoing

Au deuxième étage, lorsque l'on sort de l'ascenseur du côté de la Voie Rapide D656, on tombe, à gauche, sur une enfilade de bureaux. J'ai ouvert celui où Jean-Marie Straub et Danièle Huillet montaient leurs films, j'ai allumé un écran : c'était Le Romanz de Fanuel, un film de Vir Andres Hera. Nous avions longuement parlé lui et moi de ce saint médiéval qui est le grand-père de la Vierge : j'étais ébloui qu'un jeune artiste aimât la vie des saints, qu'il connût Fanuel, qu'il désirât lui consacrer un film.
Dans mon souvenir, Fanuel est engendré par le parfum d'une fleur qui vient de l'arbre de la science ; il offre des pommes miraculeuses aux malades ; un jour, après avoir partagé l'une d'elles, il essuie son couteau contre sa cuisse et le suc de la pomme l'ensemence : il se trouve enceint, dans la cuisse, d'une jeune fille qui sera sainte Anne, la mère de la Vierge. Et puis je me souviens — ou est-ce Vir Andres Hera qui l'imagine ainsi ? Ou est-ce moi qui projette ? – qu'à un moment de sa vie, Fanuel devient un autre : il change de sexe, c'est une femme.
Je regarde le film. C'est un éblouissement. On assiste à l'itinéraire mystique de Fanuel : d'abord la contemplation des figures sacrées dans une église, puis la solitude dans un village désert de montagne, le franchissement des portes, l'écriture, encore des portes, et la marche vers le volcan, et le corps qui trouve sa porte étroite, celle de la métamorphose spirituelle. On entend une voix : "Les dieux ne sont pas morts. Seule est morte votre perception. Nous ne sommes pas partis, seulement nous avons cessé de nous manifester. Ou bien vous avez fermé vos yeux."
C'est une voix rauque et féminine, comme dans Barbare de Rimbaud : celle d'un dieu aztèque qui, en nommant les éléments, rend explosive la limpidité. Ce point aveuglant vers lequel marche le saint, et pour l'attirance duquel il brave l'obstacle des montagnes, c'est la transparence de la métamorphose : changer de sexe, n'est-ce pas entrer dans le mystère ?
Le Romanz de Fanuel, avec la beauté du miracle tranquille, fait voir l'impossible. Je me demande tout le temps : où y a-t-il encore parole ? Une promesse a été faite : la parole reviendra. Elle n'existe qu'à travers son retour à venir (c'est la littérature). L'art de Vir Andres Hera comble parce qu'il a à voir avec la littérature : il fait vibrer la parole. Comme le disait Dante à propos de Giotto, il a le cri – « il grido ».