Benedetto Bufalino
Dossier mis à jour — 13/10/2020

Textes

Réagencer le monde

Par Paul Ardenne, 2017

L'art modeste de Benedetto Bufalino. "FAIRE SIMPLE"

Par Frédéric Bellay, 2013

Le travail de Benedetto Bufalino est aujourd'hui résolument tourné vers l'espace public. Ses œuvres sont faites dans la rue, les parcs, les jardins et autres places des villes, mais aussi réalisées pour et avec ses habitants.

Il flotte dans son travail une apparence d'insouciance. Mais, celui-ci est complexe, traversé d'éléments qui se croisent, s'enrichissent et en tissent la trame. "L'espace public" est son terrain d'aventures artistiques. C'est là en quelque sorte que tout se joue, que le travail prend vie et sens. Il prend forme dans des idées notées et dessinées dans des carnets. Il utilise aussi la photographie comme outil d'exploration. Puis plus "classiquement" c'est à l'atelier que le travail se met en place.

Le quotidien est la source de ses idées, ce quotidien qui est aussi le nôtre ; notre ordinaire en somme. Il semble que ce soit un choix, la marque d'une empathie, peut-être. Et qu'utilise t-il : un barbecue, des voitures, l'effigie de Ronald Mc Donald, un skate, un pistolet à eau, l'image d'un tube de colle, des bouts de carton, de ficelles... une sorte d'inventaire à la Prévert de nos objets ordinaires sortis d'un monde sans qualité. L'emploi de ces "matériaux pauvres" oscille entre poésie, étrangeté, contemplation, et aussi dérision, jeu et amusement. Ces jeux sont aussi bien visuels que sémantiques. Le détournement du sens comme celui des matériaux est de règle. L'humour, une légère auto dérision sont constamment en filigrane. La légèreté est d'ailleurs partout à l'œuvre dans son travail, même dans les réalisations les plus complexes. Cette légèreté qui contribue à teinter ce travail d'étrangeté, à lui donner l'apparence d'une "utopie de proximité".

C'est dans notre quotidien que ses idées naissent, c'est dans notre quotidien qu'elles se concrétisent et c'est souvent avec des gens "ordinaires" qu'elles s'y réalisent. C'est ainsi que des voitures en carton à l'échelle 1 "conduites" par des enfants vont sillonner la ville, que des maisons toujours en carton et toujours à cette échelle vont pousser dans des jardins pour disparaître presque aussi vite. Y apparaissent et disparaissent également des guirlandes clignotantes de voitures, dans les nuits du 8 décembre de Lyon, mais aussi une cabine téléphonique transformée en aquarium et posée au coin de la rue, une voiture encore, qui capot ouvert devient un barbecue, ou capot fermé une table de ping-pong, des casquettes géantes au dessus de bancs pour se protéger du soleil sur la promenade face à la mer... Toujours, les installations sont provisoires, rapidement faites et défaites, l'espace est investi et puis plus rien, juste quelque chose comme la trace d'un rêve. La fragilité des matériaux trouve son écho dans cette fugacité, cette impermanence voulue.

Mais le travail de Benedetto Bufalino ne serait rien sans les autres. J'ai envie de dire que Benedetto Bufalino aime les gens. Il semble savoir que rien n'est possible seul, que c'est grâce à des complicités nouées que son travail prend vie et peut exister. La participation des "autres" est une condition sine qua non de sa "pratique". Et ces "autres" ne sont pas un public au sens muséal. Ce sont les gens de passage et ceux qui, avec lui, ont joué le jeu. C'est une histoire de chance en somme. Vous y étiez à ce fameux 8 décembre de la "cabine téléphonique aquarium", vous l'avez vu passer ce jeune sur son tapis volant qui descendait comme un skater les pentes de la croix Rousse, vous l'avez vue cette chambre installée place des Terreaux où l'artiste vivait ?... L'éphémère est la règle de ce travail. Parfois une petite mise en scène capte les gens, les invite à participer. Souvent les projets font appel à des volontaires, ou s'inscrivent dans le cadre de commandes qui mélangent des enfants et des adultes, des vieux et des jeunes, des valides et des handicapés. En somme une autre règle pour lui, c'est le partage, la participation des gens (le lien social ?) et non la production d'objets culturels consommables.

Il y a chez Benedetto Bufalino une attitude qui contribue à donner forme à son œuvre. Je crois que c'est la modestie. Celle-ci qui me semble si présente au cœur de son travail pourrait faire écueil. La modestie ne correspond pas, ou guère à l'image flamboyante de "l'ARTISTE", mythe construit par la littérature, amplifié par un certain journalisme à paillettes et utilisé par les commerçants de l'art ; une sorte de valeur ajoutée pour reprendre des termes économiques. Ici, pas d'ambiguïté, cette manière d'être est aussi une manière de faire et une façon de "dire". C'est une sorte d'éthique, une absence d'arrogance, une forme de proximité, d'empathie. "Humilité, réserve, retenue, simplicité" dit le "Petit Robert". Il faut y ajouter engagement, volonté, détermination et capacité à susciter l'enthousiasme de ceux qu'il entraîne dans ses aventures.