Monuments du commun
Monuments du commun
Par Joseph Simas, Traduction Arielle Pélenc
In catalogue Tableaux Noirs – Leçons, Édition Berggruen, Paris, 1989
"Le bon roi Saint Louis", de Bruno Yvonnet, réduit l'énoncé de l'histoire à une image incorporant un texte, le récit de l'événement. Cependant, il ne s'agit pas d'une interprétation ou d'une représentation de l'histoire. En nous présentant les débris du passé, cette image-texte (ou ce texte-image) nous renvoie autant à nos premiers efforts d'écolier devant un livre d'histoire qu'aux événements historiques eux-mêmes. Dans le cas précis de ce tableau, notre roi de France, toujours si populaire, est absent. Dans chacune des œuvres d'Yvonnet, les véritables acteurs de l'histoire ne sont autres que les spectateurs, lecteurs d'un monument divisé, présent et passé.
Cette œuvre appartient à une série de pastels noir et blanc sur bois où l'artiste nous présente ses "leçons d'histoire". Prélevant les résumés de chapitres d'un livre du cours élémentaire, il traverse ainsi, avec dix-huit tableaux, quinze siècles d'Histoire de France. La réduction de ses images à des tableaux pratiquement vides nous rappelle à quel point toute visualisation du passé est inadéquate.
Car l'irréductibilité des événements passés, leur condition qui est d'avoir été, réside dans l'image reflétée par leur narrateur. Habités par les mots de l'histoire, c'est lui qui peuple un récit devenu légende. Comblées de signification et cependant emplis d'une absence, l'image et sa "légende" deviennent le vocabulaire d'une connivence entre le sujet historique et sa peinture.
Les images de l'histoire sont des images nocturnes.
Les mots de l'histoire sont notre passé commun.
Nos contemporains.
Dans ces livres du cours élémentaire, les stéréotypes permettent de former insidieusement les jeunes esprits à une lecture de l'histoire qui mette en avant les intérêts d'une culture donnée, et comment cette culture dominante se représente. Vidant l'image qui illustre le texte jusqu'au plus petit dénominateur commun, Yvonnet indique l'impossibilité de comprendre l'histoire, de l'utiliser sans questionner les fictions et les monuments dans lesquels nous vivons actuellement, cette histoire qui doit nous inclure dans ses références au passé.
Pour Yvonnet, cette architecture de mots et d'images fonctionne comme des vases communicants pour une lecture-vision de l'histoire. L'image est ramenée à notre passé commun (architecture, sites, monuments), et les mots deviennent les petits monuments de notre instruction. Ces légendes sont des figures dans l'image des événements passés et prennent désormais place dans le cadre d'un tableau, la peinture elle-même.