Émilien Adage
Dossier mis à jour — 04/07/2024

Textes

Émilien Adage

Par Joël Riff
Pour Documents d’artistes Auvergne-Rhône-Alpes avec le soutien de la Fondation de l’Olivier, 2025

Émilien Adage emprunte. Il ne prend pas. Il utilise momentanément ce qu'il cueille, et extrait de la nature des sujets qui y retournent après avoir prêté leurs contours. Par compost ou digestion, c'est tout un cycle organique qui demeure. Le sculpteur déploie ainsi un corpus d'œuvres dont l'homogénéité relève du moulage, une technique qu'il expérimente depuis le jour où il coula une casquette offerte en montagne, geste fondateur prônant en un même élan le couvre-chef comme outil et motif. Outre ce fétiche qui rythme sa production depuis, les lignes que l'on devine aujourd'hui évoquent surtout une flore pétrifiée. Des contenants sont agrégés verticalement, de vaisselle en totem. Il empile. L'assemblage par superpositions convoque la stratification minérale qui lui est chère. Une énergie brancuséenne érige les choses, rejouant leur montage à chaque exposition. Ça se dresse vers la lumière, comme pratiquement tout ce qui pousse sur le sol. Nous sortons d'ailleurs d'une extraordinaire année à champignons. Jamais vu de tels tapis dans la forêt où on en ramasse. Il y avait notamment cette sorte de lactaires géants coniques. Parfois, des formes vous motivent davantage à les manipuler qu'à les ingurgiter. Ce qui ne devient pas art, est mangé. Dans les deux cas, il y a cuisine. L'artiste trouve des recettes qu'il perd pour mieux les chercher à nouveau. Alors il moule.

Émilien Adage empreint. Du verbe empreindre oui, marquer quelque chose de quelque chose. Il estampe et estampille, inscrit une trace dans la matière. Il produit des doublons et engendre ainsi des multiplications. Nous parlions d'hyménomycètes. Il reproduit aussi des espèces de choux et les fruits de l'oranger des Osages, qui ne fait bizarrement pas d'agrumes. Autant dire que les modèles troublent d'emblée, et que la reconnaissance impliquera un labyrinthe de rebonds. Ils sont quoiqu'il en soit des objets riches en textures, qui généreront par la suite de généreuses palettes moirées lorsque les couleurs viendront ricocher sur leur surface. Nous n'en sommes pas encore là car comme des rushs qui attendent d'être montés, des tirages d'argile sèchent d'ici à être cuits. Cela marche par phase plutôt que par fréquence. Puis quand vient le bon moment, on allume le four. Car il s'agit de céramique. La terre est prise dans des matrices en plâtre assez grossières invitant à poncer voire à gratter plus de masse encore, avant une première cuisson en biscuit. On creuse parfois tellement qu'on abîme. Vient ensuite le travail chromatique ouvragé à partir d'engobes, de flaques d'émail aussi. Sur leurs boîtes alignées dans l'atelier, on lit Polaire, Eruption, Galaxie, Corail, Vert mousse. L'artiste confie qu'il lui arrive de choisir une teinte pour son nom. On le comprend.

Émilien Adage emprunte. Il suit certains chemins. À la station de Flaine, il troue la neige. Dans le parc national des Écrins, il transforme son paquetage. Sur l'île d'Ouessant, il grave des déchets. Les sentiers sont également nombreux chez lui tout simplement, dans sa fabrique située sous la maison familiale qu'il s'est construite dans un village du Pilat, face aux Alpes au loin. Son activité artistique se niche en effet au cœur d'un écosystème œuvrant à sa manière à tout respecter au mieux. Elle socle cela, en osmose avec son environnement immédiat, dans une relative confidentialité tant le voisinage n'a aucune idée de ce qui se manigance dans son antre. Sanctuaire, rituel et sacrifice pourraient nourrir un autre paragraphe sur ce qui se trame là. Concentrons-nous ici sur la zone préservée dans laquelle l'homme s'est basé, parsemée de lichens qui témoignent de sa bonne santé. Par considération pour ce terrain, il s'est progressivement éloigné des matériaux synthétiques pour modeler des éléments naturels. Les rencontres humaines au fil des vadrouilles importent autant, en fonction de ce qu'on vous donne. On travaille avec ce qu'on a autour de soi. Les influences viennent de partout. Cette sensibilité à sa proximité oblige à la diligence. En maniant avec soin et inventivité les artifices, l'artiste expérimente par anticipation ce que serait après nous, la nature de demain.

Biographie de l'auteur⋅e

Joël Riff est commissaire d’exposition. À Moly-Sabata dont il rejoint l’équipe en 2014, il initie plusieurs projets par an et invite des artistes en résidence de production au bord du Rhône. La Fondation d’entreprise Hermès le nomme commissaire de La Verrière à Bruxelles, où il développe un programme d’expositions à partir de 2023. Il est membre de la commission d’acquisition du Centre national des arts plastiques de 2022 à 2024, au sein du collège Arts décoratifs, design et métiers d’art. Il contribue à la Revue de la Céramique et du Verre depuis 2017, et répond régulièrement à des commandes de textes auprès d’artistes, de galeries et d’institutions.

— Site de l’auteur : joelriff.com

Statement

Par Émilien Adage, 2022

Arpenter les terres chaudes à la recherche d'une oasis

Par Anthony Lenoir
Pour l'exposition Terres chaudes, GAC, Annonay, 2018

Une histoire de distances

Par Émilien Adage
Pour l’exposition Sous la falaise d’Olivier Neden à la Galerie Tator, Lyon, 2017