Angola, 2010
ANGOLA est un projet dont l'écriture a débuté pendant l'été 2006. Il se développe à partir d'une pratique vidéographique, mais ne se borne pas au médium filmique puisqu'il entame un travail de recherche plus tentaculaire (installation vidéographique et plastique, propositions graphiques et photographiques, spectacle vivant).
Au départ, il y a la lecture d'un livre, Le troisième policier de Flann O'Brien. Je reconnais dans ce roman un univers, des sensations en prises directes avec le travail entrepris sur le projet Global garden ou les jardiniers suspendus. Les romans de Flann O'Brien constituent une aventure littéraire et poétique folle, soumise à l'absurde, au tragique et à la farce. Dans bon nombre de ses romans (Le troisième policier (1940), At Swim-Two-Birds (1939), ou encore Le pleure-misère (1941)), l'écrivain iconoclaste et satirique puise dans le grand réservoir de la littérature et du monde historique, mythologique ou contemporain, utilisant des personnages prêts à l'emploi qu'il met au service de fictions nouvelles. Ces fictions, où plus aucune distinction dans le temps et l'espace ne devient nécessaire, inventent un monde incertain et parodique, un patchwork constamment en proie à la métamorphose. Le temps et l'espace y sont infiniment modelables, et l'écriture et le langage capables d'entretenir une existence autonome. Il y aurait alors, irrémédiablement disjoints, l'Homme, le langage et le monde. Si la disjonction constitue une source infinie de jeu, de comédie, de parodie carnavalesque, elle est également, dans l'univers d'O'Brien, l'indice de la finitude radicale du sujet (face à l'incommunicabilité, face au tragique de l'Histoire, face à la mort).
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Rapidement je cherche, non à « adapter » son œuvre, mais à travailler avec elle, autour d'elle. Croiser les références ; inventer comme une archéologie poétique et caustique du XXe siècle et du contemporain. Tenter comme la reconstitution d'une encyclopédie implosée dont je ne retrouverais que des lambeaux impossibles à ordonner (il y aurait des extraits du journal de Joseph Goebbels, des témoignages de migrants subsahariens, des extraits d'articles géopolitiques, une transposition chorégraphique de La montagne de Balthus, des percées de la poésie parodique de Flann O'Brien et de Max Jacob, la présence du Prince de Machiavel, des fragments de textes antiques (Géographie de Strabon, la satire ménippéenne de Lucien de Samosate...).
En convoquant ces matériaux hétérogènes, je m'emploie à dresser l'étrange et fluctuante topographie qui se joue dans Le troisième policier. Et du même coup à renvoyer un peu de la balle foisonnante et insaisissable que nous jette le monde. Opérer par glissement et accumulation afin de s'approprier une pluralité d'échelles historiques ou géographiques et une diversité de valeurs esthétiques. Ainsi surgira un jeu de relations, jeu parfois grinçant ou cruel, parfois burlesque ou absurde, un jeu qui tissera des rapports entre des textes, des corps, des paysages, inventant une fable irréductible à toute morale, une fable lyrique qui ne dirait pas sur quel pied elle danse, accumulant des amorces de fictions, demeurant au seuil de l'épopée, toujours défaisant ce qui vient se proposer. La fable se trouve alors prise entre les feux d'une violence sous-jacente et les feux d'un comique pince sans-rire. Qu'est-ce qui dès lors s'y trame ? Une colère, une comédie, une poétique protéiforme, un état des lieux, un symptôme... ?
L'air noir (écho), Écho (Remercier MacCruiskeen) et Remercier MacCruiskeen (l'air noir) constituent un prologue à l'exposition ANGOLA.
Ces trois pièces annoncent des motifs que l'on retrouvera dans le second espace : la mise en abîme, le jeu, les rapports d'échelles, les enchâssements.
Elles annoncent également des thèmes qui se développeront ultérieurement : le pouvoir, l'impuissance, la violence, l'alerte, l'appropriation.
bois, dibond, ipod, vidéo en boucle - 9"
L'air noir (écho) propose au centre du panneau de dibond une minuscule vidéo répétitive qui dure 9". Les syllabes du slogan « non, non, non, aucune hésitation » apparaissent discrètement, au rythme de la litanie. Petit karaoké minimaliste et silencieux, le spectateur est invité à entrer dans la contine, à s'approcher de l'applat noir. L'impact militant est mis à mal par la discrétion de la graphie et l'incessante répétition du sample, un impact qui se réduit alors à une autosuggestion tragicomique qui paradoxalement indique l'indécision, la mal assurance, le flottement face au passage à l'acte.
médium
Écho (Remercier MacCruiskeen) joue sur le télescopage entre deux motifs. Celui de la bibliothèque de Mathieu Mercier installée dans ce hall d'accueil et celui des boîtes gigognes présentes dans Le troisième policier de Flann O'Brien. Dans le roman, un des passe-temps favori du policier MacCruiskeen est la confection à l'infini de boîtes gigognes.
médium, dibond noir, vidéo en boucle - 2 min
Remercier MacCruiskeen (l'air noir) perce la bibliothèque de Mathieu Mercier présente dans le hall d'accueil ainsi que la cimaise. À l'extrémité de cette «longue-vue» inversée est projeté un petit rectangle de lumière qui signale en code Morse un témoignage de migrant arrêté par la Guardia civil à Melilla. On retrouvera ce témoignage interprêté de vive voix dans les vidéos One shot et Atlas rural.
Installation, photographie (90 x 120 cm), dibond, bois, mousse, bande-son 4.1, 31'17
La bande-son a été réalisée en collaboration avec Frédéric Marolleau
L'objet photographique réagence les éléments du projet ANGOLA et met en scène le processus à l'œuvre (fragmen-tation, ramification, juxtaposition, collage, incarnation, composition d'un microcosme). Ce versant photographique du projet se saisit de plusieurs traditions picturales, en particulier l'allégorie des arts. Cette reprise travaille simul-tanément l'élaboration de l'agencement et l'apparence d'inachèvement.
L'installation propose un jeu sur les échelles. L'image intègre des images contrecollées sur des panneaux miniatures, elle vient à son tour intégrer un panneau de même structure. L'assise basse destinée au spectateur redouble la mise en abîme. La bande-son diffusée est un crescendo très lent et contrasté, une accumulation patiente qui dessine un paysage naturel de plus en plus complexe et magmatique. Au début minimal, petit à petit les sons s'accumulent (eau, abeilles, oiseaux, vents...), un à un ils se détèriorent et saturent l'espace. La bande-son est spatialisée sur 5 points de diffusion, elle est une adaptation de la création sonore destinée à la version scénique d'ANGOLA.
4 écrans (163 x 93 cm, bois, plexiglas, charnières), 3 assises (bois, mousse agglomérée)
Diffusion : 3 DVD, 3 vidéoprojecteurs, 6 casques
Études pour Angola, 2007
Vidéos format 16/9 : One shot (10'37), Joseph (9'07+10'24), Noman (22')
Avec Sarah Chaumette, Christophe Dréano, Atsama Lafosse, Raphaëlle Misrahi & Virginie Thomas
Extrait - 27 min
Ces trois études mettent en jeu une partie des matériaux textuels, iconographiques et musicaux du projet ANGOLA. Les vidéos sont trois plans-séquences.
Dans la première étude, le texte interprété par Atsama Lafosse est extrait d'un rapport de la CIMADE sur la condition des migrants sub-sahariens au Maroc. Cette vidéo a initié le travail en plan séquence.
La seconde étude est scindée en deux parties. Des textes extraits du journal (1943-1945) de Joseph Goebbels constituent le principal matériau mis en jeu dans cette séquence.
La troisième étude est l'un des plus longs plans séquences que nous ayons travaillé à Saint Cirq-Lapopie dans le Lot, l'un des plus complexes également. Des matériaux textuels extraits de l'œuvre de Flann O'Brien et de la Géographie de Strabon viennent s'articuler à une chanson de Daniel Johnston, au sifflement d'une mélodie de Carlos Gardel ou à la présence du Prince de Machiavel. Au sein de cette séquence se déploie la fragilité et le flottement inhérent au projet, un plan qui tient sur le fil du rasoir.
Atlas rural, 2007-2010
Vidéo format 16/9, 22'
Avec Sarah Chaumette, Christophe Dréano, Atsama Lafosse, Raphaëlle Misrahi et Virginie Thomas.
Produit avec le soutien de la résidence internationale d'artistes Maisons Daura, Saint-Cirq-Lapopie (Centre d'art de Cajarc et région Midi-Pyrénées).
Extrait - 13 min
Atlas rural est une vidéo qui réagence, entre autres matériaux tournés dans la campagne lotoise, les Études pour Angola. Cette vidéo constitue également une étape d'écriture afin d'amorcer le travail scénique.
Une dérive se tisse, une navigation à travers des matériaux disparates. Les curseurs géographiques et historiques s'affollent, ubiquité, anachronisme. Des éclats, des copeaux de la mémoire collective contribuent à dépeindre de façon minimale et onirique la maison aigre-douce qui nous habite. Des fragments de l'Histoire, ou de la littérature, dissonent et pourtant hantent un même territoire. Il s'appréhendent au travers de paysages idéalisés (la nature s'appréhende sous la catégorie de la fiction culturelle, de l'artifice) à l'image même des mots qui viennent y éclore, et s'y perdre. Les interprètes, tout en semblant emprunter des codes, des outils du naturalisme, demeurent définitivement exogènes à leur terrain de jeu. Les narrations ouvertes qui se mêlent déploient des durées contrastées, parfois vives et condensées, parfois se sédimentant et s'étirant, constitutives d'un jeu incessant de parenthèses.
Interprètes : Joseph B : Yasmine Youcef / Christelle Canut ; Lui : Christophe Dréano ; Angola : Atsama Lafosse ; Joseph A : Raphaëlle Misrahi ; Elle : Virginie Thomas.
Equipe technique : Lumière : Guillaume Fromentin ; Son : Frédéric Marolleau.
ANGOLA propose une expérience en écriture qui est régie par un entrelacs, une combinaison de textes préexistants, couvrant un champ, tant historique que géographique, des plus larges.
Ce projet demeure sous-tendu, en dialogue constant, avec ma lecture de l'œuvre de Flann O'Brien. Outre l'analogie formelle entre l'œuvre de l'Irlandais et ANGOLA, la stratégie d'écriture est mise au service d'un état de plateau spécifique : fragile, incertain, flottant. Un état qui cherche à plonger précisément le spectateur dans une écoute et des sensations en adéquation avec ma lecture de l'œuvre de Flann O'Brien : dislocation d'une fermeté du temps et de l'espace, flottement labyrinthique et polyphonique, osmose grinçante entre le fictif et le réel, jeu de reflets et d'entrecroisements entre des éléments a priori disparates. Autant d'outils conduisant à l'altération de la solidité d'une interprétation du monde au profit d'une poétique kaléïdoscopique et aigre-douce.
Cette altération ne se fait pas à grand renfort de moyens spectaculaires, au contraire ce serait une économie minimale du plateau qui la provoquerait (que les distorsions soient fines, douces, que précisément ce soit le travail à contre-pied, par la bande, qui fasse résonner la violence et le chaos sous-jacents, et qu'ainsi éclose un peu du scandale du mal).
Le spectateur est rapidement confronté au doute quant à l'identité des locuteurs. Dans Soleil Rouge, Chris Marker dit que l'on ne sait jamais qui l'on filme, ici, l'on ne saurait jamais qui l'on écoute. Naît le soupçon, il vient petit à petit poindre quant à la provenance des textes et à la nature des figures présentes au plateau. Et ce soupçon est un outil de plus pour conduire le spectateur dans un état de profonde attention à ce qui vient, ainsi qu'à sa déstabilisation quand ce qui vient se déporte, ou mute, se rompt ou se dévoile.
ANGOLA
Production
Mamie Küsters, Lyon
Partenaires
Passerelle Centre d'art contemporain, Brest, 2010
Hostellerie de Pontempeyrat, résidence, 2009
La Métive, résidence, 2009
Centre Chrorégraphique de Rillieux-la-Pape, prêt de salle, 2008
DICRéAM (CNC), aide à la maquette, 2007
Maisons Daura (Maison des Arts G. Pompidou, Cajarc & Région Midi-Pyrénées), résidence, 2007
Diffusion
Passerelle Centre d'art contemporain, Brest, exposition, 2010
Pointligneplan, FEMIS, Paris, projection, 2010
Centre de la Photographie d'Île-de-France, Pontault-Combault, exposition Nulle part est un endroit, 2010
Exposition de Noël du Magasin - CNAC de Grenoble, 2009
Les Salaisons, Romainville, projection, 2009
Association -able, Marseille, projection, 2008