Marie-Anita Gaube
Dossier mis à jour — 13/01/2021

Texte de Marc Desgrandchamps

Texte de Marc Desgrandchamps
Catalogue de l'exposition Dérives, Progress Gallery, avec le soutien du Centre national des arts plastiques, 2014

J'ai découvert les peintures de Marie-Anita Gaube il y a deux ans. Elle était étudiante à l'École des Beaux-Arts de Lyon et travaillait sur un grand format que je n'ai pas vu achevé sinon en photo. Il lui a été volé depuis.
Cette toile représentait tout un univers de figures humaines, animales, végétales, de dimensions variées, situées dans un site où l'on voyait une rivière s'écouler au milieu de prairies, en un paysage dont l'horizon était borné par une chaîne de montagnes dignes du Magical Mystery Tour des Beatles.
J'avais été intrigué par ce tableau dont la fantaisie me rappelait la spontanéité enjouée du Pop anglais, surtout celle de David Hockney à ses débuts.
Depuis ce sentiment d'intrigue n'a fait que s'approfondir au vu des toiles qui ont suivi. Il se lie aux agencements mystérieux qui structurent les compositions, accompagnées de titres tout aussi énigmatiques. Il est malaisé de distinguer un sujet. Il semble que ce soit comme la vie, ou ces vies que nous menons et qui sont faites d'instants dont le sens ne nous apparaît que plus tard, quand se sont dissous les actions ou projets qui nous motivaient et aveuglaient à la fois.

La fraîcheur des coloris, leur acidité parfois, participent de cet état des choses, en une liberté de représentation qui semble mêler fragments de rêve et figures issues du réel. Ainsi de ce t-shirt à cible qui devient l'élément central d'une scène lunaire à l'aspect onirique. Deux corps acéphales, dont l'un pourrait être issu d'un tableau de Francis Bacon, se font face. Une tête en forme de masque gît sur l'herbe, le tout baigné dans une lumière nocturne. Le titre de l'œuvre envisage un dialogue, même si ce dialogue nous reste muet. Ce pourrait être un cauchemar paisible, car l'harmonie de certains camaïeux, quelques teintes froides illuminées de chaud, édifient l'ambigüe douceur de ce monde.

La spontanéité apparente de certaines toiles est paradoxalement le fruit d'un travail assez long, fait de reprises et superpositions. Les couleurs ne sont pas posées sans remords. Elles sont contredites par d'autres teintes qui viennent nuancer ce qu'un regard distrait pourrait envisager comme de simples aplats. Ce peut être, à l'image de ce rouge que Daniel Arasse devinait sous le bleu de Matisse, la source d'un plaisir visuel où la pratique picturale, au-delà de toute détermination univoque, se matérialise dans la subtilité d'un coloris élaboré au fur et à mesure, séance après séance.
C'est bien le dernier coup de pinceau qui importe, mais amplifié par tout ce qui l'a précédé.

La matière picturale n'est pas homogène, et elle se perçoit dans ses variations d'épaisseur, ainsi du tableau « Métamorphose » dont le titre semble désigner l'argument qui agit les figures aussi bien que la façon dont elles sont représentées sur la toile.
« Métamorphose » me rappelle d'ailleurs une composition de Martial Raysse intitulée « les Deux Poètes » où deux personnages assis font face au spectateur. La même frontalité est à l'œuvre chez Marie-Anita Gaube, mais chez elle les figures demeurent incertaines et seuls quelques détails précis comme des mains ou une chaussure identifient leur présence de manière elliptique. Il existe aussi une forme de cryptage de la scène, vu comme un fait pictural plutôt que comme le cryptage d'une représentation dépendante d'une histoire qu'il faudrait dévoiler.

Cependant le regardeur peut être tenté de se livrer à l'exercice d'interprétation, incité en cela par des éléments reconnaissables empruntés à d'autres réalités, et qui viennent parsemer ces tableaux. Ainsi dans « Diagnostic de la mélancolie » des chevrons rouges rappellent les premières peintures de Frank Stella, et de façon moins flagrante l'espace situé immédiatement au dessus de cette remémoration n'est pas sans évoquer le Brice Marden fluide des 30 dernières années. Faire un lien entre Stella, nom propre qui signifie aussi étoile, les chevrons et l'astronaute qui se tient à leur gauche, peut paraître audacieux, même s'il témoigne du fait que les compositions de Marie-Anita Gaube peuvent s'envisager sous la forme de rébus, ou plus fondamentalement comme les reliquaires d'indices à partir desquels un sens pourrait s'imaginer et même se reconstituer. L'intrusion d'éléments emblématiques d'un art abstrait proche du minimalisme montre que la culture visuelle de l'artiste lui permet de travailler à partir de sources diverses qu'elle remixe picturalement en les assimilant à l'univers de ses tableaux. Il y a là tous les enjeux d'une démarche qui, au-delà des réussites qui sont les siennes aujourd'hui, permet d'envisager un large territoire d'expérimentations à venir.

© Adagp, Paris