Le Jardin d'Hannibal
Le Jardin d'Hannibal, 2020 - en cours
Texte de présentation du projet par Marine Lanier
Situé dans le cadre grandiose des glaciers de la Meije (3987 m), le jardin du Lautaret, perché à 2100 m, est le jardin d'altitude le plus haut d'Europe. Il abrite plus de 2000 espèces de plantes et représente un conservatoire unique de la diversité de la flore alpine, classé par continent, tel qu'on l'observe sur l'ensemble des hautes montagnes de la planète : Alpes, montagnes rocheuses, Caucase, Himalaya, Japon, Arctique, Andes, Patagonie, montagnes d'Afrique.
J'ai séjourné plusieurs semaines au printemps dans le chalet laboratoire Mirande situé en haut du jardin, en compagnie de chercheurs en écologie, scientifiques, botanistes et jardiniers. Chaque jour le manteau de neige fondait, libérant des centaines d'espèces alpines du monde entier, au milieu des prairies et des rocailles. Lors des tablées, le soir, on racontait parfois l'épopée d'Hannibal, qui, selon la légende, serait passé par le col du Lautaret au cours de sa folle traversée des Alpes, accompagné de mercenaires carthaginois, ibères, gaulois, de yacks et d'éléphants. Les visions antiques de ce voyage se mêlaient aux plans films que je réalisais du jardin, une sorte de vision fantasmagorique et lunaire de notre futur, un herbier étrange et nocturne, où les plantes quittaient l'hiver, dans le souvenir d'un voyage épique à la conquête de l'impossible.
Hannibal, vingt-deux siècles auparavant, s'insurgeait contre la domination de Rome. Il m'est apparu que ce jardin laboratoire était à l'image du combat d'Hannibal, celui de David contre Goliath, un bastion de résistance de notre monde contemporain face au changement climatique. Depuis le 19ème siècle, étudiants et scientifiques viennent analyser la biodiversité remarquable du col du Lautaret, se consacrer à l'entretien des collections, comprendre les plantes qui survivent dans ce milieu hostile. Une tradition d'échange de graines entre botanistes du monde entier existe depuis deux cents ans pour enrichir le jardin et ceux d'autres contrées, dans la volonté de préserver la mémoire vive de nos espèces et de notre évolution.
Actuellement, on pratique au col du Lautaret une recherche pointue sur l'écosystème qui nous entoure. Comprendre comment celui-ci va se comporter au milieu de ce que l'on appelle les changements globaux : changement de climat et des pratiques humaines. Dans ce cadre, est menée une expérience singulière appelée « alpage volant » : une équipe de scientifiques déplace littéralement les montagnes. Huit tonnes d'alpage sont transplantées par hélicoptère, plus bas, pour étudier l'écart de trois degrés et son impact climatique sur les plantes ; la conclusion de l'expérience est attendue pour 2025, c'est le temps nécessaire pour observer l'acclimatation de la flore à cette altitude. Les chercheurs pourront alors imaginer le nouveau paysage des Alpes — et par voie de conséquence, celui du reste de la planète. Il s'agira d'observer, puis de réagir selon le comportement des plantes, dans l'hypothèse optimiste d'un réchauffement climatique de deux à trois degrés, à l'horizon de 2100.
Mes images révèlent un nouveau monde primitif par des monochromes rouges, roses, jaunes, dans la lignée de l'inventaire des formes et des structures végétales fondamentales de Karl Blossfeldt, ou des herbiers en cyanotypes de la botaniste britannique Anna Atkins. Les végétaux ont été saisis à la tombée de la nuit ; les minéraux sous le soleil irradiant de midi, comme dans les déserts de Timothy O'Sullivan ; le glacier au lever du jour, rappelant les sommets immortalisés par les frères Bisson. J'ai employé la chambre photographique à rebours de son utilisation première, qui est souvent de saisir des paysages grandioses — elle s'est transformée en un microscope géant, une loupe venue d'un autre âge pour observer la nature de demain, prélever des fragments du vivant, regarder la sève qui circule au creux des feuilles violettes, la division des cellules dans l'eau rouge, devenir le regard d'un enfant ou celui d'une bête sur le monde qui l'attend.
Texte de présentation du projet par Marine Lanier
Situé dans le cadre grandiose des glaciers de la Meije (3987 m), le jardin du Lautaret, perché à 2100 m, est le jardin d'altitude le plus haut d'Europe. Il abrite plus de 2000 espèces de plantes et représente un conservatoire unique de la diversité de la flore alpine, classé par continent, tel qu'on l'observe sur l'ensemble des hautes montagnes de la planète : Alpes, montagnes rocheuses, Caucase, Himalaya, Japon, Arctique, Andes, Patagonie, montagnes d'Afrique.
J'ai séjourné plusieurs semaines au printemps dans le chalet laboratoire Mirande situé en haut du jardin, en compagnie de chercheurs en écologie, scientifiques, botanistes et jardiniers. Chaque jour le manteau de neige fondait, libérant des centaines d'espèces alpines du monde entier, au milieu des prairies et des rocailles. Lors des tablées, le soir, on racontait parfois l'épopée d'Hannibal, qui, selon la légende, serait passé par le col du Lautaret au cours de sa folle traversée des Alpes, accompagné de mercenaires carthaginois, ibères, gaulois, de yacks et d'éléphants. Les visions antiques de ce voyage se mêlaient aux plans films que je réalisais du jardin, une sorte de vision fantasmagorique et lunaire de notre futur, un herbier étrange et nocturne, où les plantes quittaient l'hiver, dans le souvenir d'un voyage épique à la conquête de l'impossible.
Hannibal, vingt-deux siècles auparavant, s'insurgeait contre la domination de Rome. Il m'est apparu que ce jardin laboratoire était à l'image du combat d'Hannibal, celui de David contre Goliath, un bastion de résistance de notre monde contemporain face au changement climatique. Depuis le 19ème siècle, étudiants et scientifiques viennent analyser la biodiversité remarquable du col du Lautaret, se consacrer à l'entretien des collections, comprendre les plantes qui survivent dans ce milieu hostile. Une tradition d'échange de graines entre botanistes du monde entier existe depuis deux cents ans pour enrichir le jardin et ceux d'autres contrées, dans la volonté de préserver la mémoire vive de nos espèces et de notre évolution.
Actuellement, on pratique au col du Lautaret une recherche pointue sur l'écosystème qui nous entoure. Comprendre comment celui-ci va se comporter au milieu de ce que l'on appelle les changements globaux : changement de climat et des pratiques humaines. Dans ce cadre, est menée une expérience singulière appelée « alpage volant » : une équipe de scientifiques déplace littéralement les montagnes. Huit tonnes d'alpage sont transplantées par hélicoptère, plus bas, pour étudier l'écart de trois degrés et son impact climatique sur les plantes ; la conclusion de l'expérience est attendue pour 2025, c'est le temps nécessaire pour observer l'acclimatation de la flore à cette altitude. Les chercheurs pourront alors imaginer le nouveau paysage des Alpes — et par voie de conséquence, celui du reste de la planète. Il s'agira d'observer, puis de réagir selon le comportement des plantes, dans l'hypothèse optimiste d'un réchauffement climatique de deux à trois degrés, à l'horizon de 2100.
Mes images révèlent un nouveau monde primitif par des monochromes rouges, roses, jaunes, dans la lignée de l'inventaire des formes et des structures végétales fondamentales de Karl Blossfeldt, ou des herbiers en cyanotypes de la botaniste britannique Anna Atkins. Les végétaux ont été saisis à la tombée de la nuit ; les minéraux sous le soleil irradiant de midi, comme dans les déserts de Timothy O'Sullivan ; le glacier au lever du jour, rappelant les sommets immortalisés par les frères Bisson. J'ai employé la chambre photographique à rebours de son utilisation première, qui est souvent de saisir des paysages grandioses — elle s'est transformée en un microscope géant, une loupe venue d'un autre âge pour observer la nature de demain, prélever des fragments du vivant, regarder la sève qui circule au creux des feuilles violettes, la division des cellules dans l'eau rouge, devenir le regard d'un enfant ou celui d'une bête sur le monde qui l'attend.