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LÀ OÙ TOUT PEUT COMMENCER
Par Sylvie Lagnier, docteur en histoire de l'art, août 2015
Pour l'exposition Geography expert, History freak, INSA Lyon, 2015
LÀ OÙ TOUT PEUT COMMENCER
Par Sylvie Lagnier, docteur en histoire de l'art, août 2015
Pour l'exposition Geography expert, History freak, INSA Lyon, 2015
IN
Par Florence Meyssonnier, 2013
Texte produit à l'occasion des expositions Art in the age of extinction, Cerbère et Portbou, 2012-2013, organisées par Shandynamiques, Commissariat Karine Vonna-Zürcher
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Par Florence Meyssonnier, 2013
Texte produit à l'occasion des expositions Art in the age of extinction, Cerbère et Portbou, 2012-2013, organisées par Shandynamiques, Commissariat Karine Vonna-Zürcher
MONDE EN MORCEAUX
À propos de trois photographies de Pascal Poulain
Par Pierre Zaoui, novembre 2010
Dans le cadre de l'exposition HIC / L'exposition de La forme des idées, Villa Arson, Centre national d'art contemporain, Nice, 2010
MONDE EN MORCEAUX
À propos de trois photographies de Pascal Poulain
Par Pierre Zaoui, novembre 2010
Dans le cadre de l'exposition HIC / L'exposition de La forme des idées, Villa Arson, Centre national d'art contemporain, Nice, 2010
LES MIROIRS AUX ALOUETTES
Par Garance Chabert, 2009
In Going Back to Cali / Sao Paulo, édition Centre d'Arts Plastiques de Saint-Fons, 2009
LES MIROIRS AUX ALOUETTES
Par Garance Chabert, 2009
In Going Back to Cali / Sao Paulo, édition Centre d'Arts Plastiques de Saint-Fons, 2009
En 1843, Ludwig Feuerbach remarque que "(son) époque préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, le paraître à l'être". 1 Diagnostic qui se confirma tout au long du XXème siècle, et fit dire à Baudrillard au début des années 1980 que la réalité avait définitivement basculé dans le simulacre et la virtualité de l'image. 2L'invention de la photographie, contemporaine des propos de Feuerbach, correspondait au désir d'illusion de l'époque, mais insidieusement, puisque son caractère indiciel maintenait la croyance en un accès authentique à la réalité. L'image, qui, comme l'explique Susan Sontag, consomme en fait la réalité et l'appauvrit, est devenue notre expérience privilégiée du monde, qui s'est lui-même adapté à ce nouveau paradigme et produit en boucle des situations iconiques. 3 Cet aller-retour entre l'image et la réalité, qui se contaminent mutuellement et deviennent par là-même difficilement dissociables, est un questionnement depuis plusieurs années au centre de la pratique de Pascal Poulain. Au lieu de chercher à percer au-delà de la surface lisse de l'image photographique la complexité historique d'une situation réelle – ce vers quoi tendent de nombreuses pratiques documentaires - Pascal Poulain s'attache précisément dans ses images photographiques et in situ à déceler le processus inverse : l'image quand elle agit au contraire comme révélatrice de la vacuité du réel.
Cette superficialité se repère particulièrement dans l'accumulation de signes qui sature notre environnement urbain et médiatique. C'est donc sur ce terrain que, par différents procédés de distanciation, l'artiste s'attache à démasquer que certaines images ne cachent rien d'autre que leur pure présence comme images consommables. Dans l'installation Yes (2002), sur le mur d'une galerie recouvert de plaques de forex blanches, un dessin vectoriel de fermetures éclair découpe des ouvertures dans le plastique et révèle sur le mur les lettres d'un immense YES. Sous la surface brillante, point de mystères ou d'énigmes à décrypter, seulement la littéralité du signe et la formulation joyeuse d'une évidence déclarative, sans objet ni sujet. Si le choix d'un signe linguistique agit presque comme un exemple conceptuel, Pascal Poulain nous montre que le monde regorge de signes plus circonstanciés mais tout aussi vides de contenu.
Dans une série de photographies réalisées en 2007, l'artiste a découpé sur des pochoirs les principaux slogans des candidats aux élections présidentielles sous la Ve République. Il a ensuite photographié différentes personnes essayant de trouver la posture adéquate pour que les slogans s'écrivent sur le sol sous l'effet de la lumière. Malgré l'effort déployé pour bien positionner leur corps et la pancarte par rapport au soleil, on remarque une difficulté certaine à faire apparaître nettement les phrases, dont les lettres se brouillent et sont peu lisibles. L'implication physique des personnes photographiées contraste avec la fragilité et l'immatérialité des slogans qui se révèlent momentanément à la lumière. En plus de leur évanescence, les slogans s'avèrent interchangeables (La France en marche, La France unie, Nous irons plus loin ensemble, etc.) et totalement déconnectés des attentes concrètes que supposent l'action et l'engagement politiques. Pour son exposition personnelle Red Room, à la chapelle du Carmel à Chalon-sur-Saône en 2007, Pascal Poulain avait installé en regard de cette série d'images un grand mur de feuilles de calque rouge sur lequel était imprimé par gaufrage un motif pavillonnaire proliférant de manière anarchique (Côte Atlantique). Associée aux photographies de slogans, cette représentation d'une ville-champignon structurée par la répétition sans fin de la même construction identique (et que l'on retrouvera plus tard réalisée en dur, "plus faux que nature", dans les chantiers de Dubaï), caricaturent l'uniformisation des politiques urbaines qui recourent à des modèles standard d'habitation coupés des réalités historiques et locales d'un territoire.
De plus, les visiteurs étaient invités à refaire eux-mêmes la même opération technique sur une feuille qu'ils pouvaient emporter (Le Parking). Ces deux corpus d'œuvres montrent ainsi que l'image, pour peu qu'elle soit produite plutôt que consommée, ici par des techniques manuelles de reproduction – directement expérimentées par le visiteur, ou dans le cas des slogans politiques, par l'identification facile à la personne qui tient la pancarte – possède un potentiel de réflexivité et de résistance aux signes qui nous sont imposés. Dans les travaux que nous venons d'évoquer, Pascal Poulain fabrique des dispositifs visuels pour mettre en abyme et révéler la platitude d'une certaine catégorie d'images et de signes.
Une autre stratégie consiste à repérer et à photographier des lieux qui accentuent particulièrement la confusion entre la réalité et l'image. Ainsi de deux photographies (Le Nouveau Final 1&2), prises pendant le spectacle Cinéscénie du Puy-du-Fou, au moment clé de l'attaque du donjon. L'artiste adopte ici le point du vue frontal et en contre-plongée du spectateur, position classique assignée au public pour jouir du spectacle, c'est-à-dire assez près pour y être immergé et assez loin pour ne pas y participer physiquement. L'aspect carton-pâte de la bâtisse et la lévitation des boules de feu flottant dans l'air au premier plan, paraissent des effets tout droit sortis d'une mauvaise manipulation photoshop, alors même que les images sont prises à la chambre sans trucage. Le parc d'attraction vendéen mettant en scène un Moyen Age français fantasmatique qui correspond par ailleurs sous plusieurs aspects à ce que Michel Foucault avait désigné comme une "hétérotopie chronique" 4, c'est-à-dire un lieu isolé où tout est scénarisé pour abolir le temps, "où les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue avec leur temps traditionnel" 5. Dans les deux images en question il est néanmoins malaisé sans lire la légende d'identifier et de localiser "cet espace autre", puisqu'il se déréalise sous l'effet de sa propre représentation. En sortant du périmètre balisé, voire en déplaçant le point de vue de plusieurs degrés et en l'élargissant au site, les autres photographies réalisées au Puy-du-Fou (Le Grand Parc), permettent l'identification progressive de cet espace spectaculaire. Chaque image questionne le positionnement particulier du photographe, qui zoome, recule ou se déplace par rapport à la scène (on le remarque notamment à la place qu'occupent dans les photographies les effets de feu et de fumée), jusqu'à parfois être presque complètement hors-champ. 6 Repoussés par des écrans de végétation, les éléments de décor (les gradins, l'amphithéâtre, le village médiéval, etc.) deviennent alors des détails d'arrière-plan dans l'image. Si l'on constate qu'un point de vue distancié révèle autant qu'il le met en faillite le fonctionnement spectaculaire du parc, Pascal Poulain, par ce va-et-vient de différentes focalisations, témoigne surtout de la possibilité de redonner un regard actif au spectateur, par essence passif face à ce type de représentation. Le fait d'écarter toute présence humaine de ses photographies - alors même que Cinéscénie affiche complet trois fois par jour et que l'endroit est bondé –, n'est-il pas un indice du refus de représenter la position bloquée dans laquelle se trouve le spectateur ?
Comment néanmoins prendre la distance nécessaire lorsque le spectacle n'est pas délimité par les frontières d'une scène distincte ? Dans un article publié dans Libération en 1996, 7 Jean Baudrillard développe l'idée que le monde est devenu un vaste parc à thèmes virtuel, construit sur le modèle des parcs Disney. Limité au départ aux frontières du parc, il constate que "l'initiateur de la réalité virtuelle de l'imaginaire est en train de s'emparer aujourd'hui de tout l'univers réel, pour l'intégrer dans son univers de synthèse, sous forme d'un immense reality show, où c'est la réalité elle-même qui vient se donner en spectacle, où le réel lui-même devient un parc d'attraction". 8 Le parc à thèmes, historiquement construit comme une enclave isolée du monde environnant par un système d'entrée et de sortie uniques et la multiplication des attractions formant un parcours thématique, est en effet en train de devenir dans certains territoires un projet urbain et architectural. Passage dont témoigne sur un mode décalé la dernière série de photographies de Pascal Poulain, réalisée à Dubaï.
Alors qu'au Puy-du-Fou, la distinction entre le parc d'attraction et ses alentours est encore possible, l'échappatoire devient plus difficile quand l'extension du décor recouvre le territoire et surtout que les spectateurs, parce qu'ils l'habitent, en deviennent les premiers figurants. Engagé dans un processus de développement urbain pharaonique, l'émirat a pour ambition de faire de Dubaï un paradis touristique et consumériste de luxe : une utopie capitaliste concrète. Sorte de Puy-du-Fou puissance mille, à Dubaï les bâtiments semblent tout aussi irréels, mais plus proches de l'image de synthèse idéale des logiciels d'architecture que des trucages amateurs. La ville est d'ailleurs recouverte de panneaux publicitaires vantant les mérites de ses programmes d'urbanisme. La palissade publicitaire barrant l'horizon et cachant la construction de Palm Deira – une des îles en formes de palmiers – affiche ici son message architectural persuasif : la photographie de l'île vue du ciel associée au slogan When Vision Inspires Humanity et au logo du constructeur. Flambant neufs, les buildings aux surfaces miroitantes, les routes à l'asphalte et à la signalisation parfaite répondent et illustrent les promesses des cheikhs : la ville conserve l'apparence virtuelle des plans qui l'ont dessinée. Avant qu'elle ne soit entièrement ce gigantesque parc à thème qu'elle idéalise et se presse de devenir, Pascal Poulain a photographié les zones en construction de ce vaste trompe l'œil. L'intérêt de la prise de vue dans les quartiers en travaux de Dubaï réside dans l'ambiguïté de ce que le photographe nous donne à voir : à ce stade transitoire se télescopent encore la réalité persistante du chantier (le sable, qu'il faut déplacer, le sol terreux, les palissades provisoires) et l'ébauche (dans les grandes lignes architecturales, de hauteur, de proportions, de matériaux) de la ville-décor en devenir. À l'inverse d'une vision dirigée vers le ciel et à laquelle invitent les entrepreneurs de Dubaï en construisant les tours les plus hautes du monde, l'appareil photographique de Pascal Poulain s'accroche au sol et aux rares éléments qui contrarient les perspectives lisses (pierres, plots, grues etc.). Dans ses images, sorte de mémento mori avant la liquidation définitive de la topographie d'origine du territoire, le regard du photographe semble ainsi irrésistiblement attiré vers le bas, où gisent encore quelques fragments d'une autre réalité - la réalité quotidienne, faut-il le préciser, des presque-esclaves qui construisent ce petit paradis pour riches. Les rares images prises en hauteur sont en partie masquées par une sorte de brume qui monte du sol. On retrouve ici une image similaire aux fumigènes voilant le spectacle du Puy-du-Fou. Mais quand les tours de Dubaï s'évanouissent dans les vapeurs d'eau remontant de la mer, ce n'est pas là un effet programmé mais une mise en spectacle "naturelle" et en direct. Merveille du simulacre "où les choses sont doublées par leur propre scénario" 9 : Les photographies de Pascal Poulain rappellent ainsi les images des Twin Towers, modèle et précédent iconique du fantasme apocalyptique de toute ville utopique, à savoir son propre effondrement.
À ces images hyperboliques transférées dans le monde réel, Pascal Poulain, dans une de ses dernières œuvres (La Carte, 2008), semble répondre par une tentative de représentation symbolique du territoire au degré zéro : sur une carte de l'Europe de 26 mètres de long qui s'étend dans l'espace d'exposition, chaque ville est inscrite à la latitude de son emplacement. Police et taille de l'écriture sont identiques pour chaque nom. La hiérarchie démographique, économique et politique des villes est ainsi écrasée par l'équivalence linguistique, le passage des frontières se signalant seulement par le changement progressif de la langue. La carte, territoire pourtant hautement symbolique – Baudrillard choisit comme premier exemple pour illustrer le monde-simulacre une fiction de Borgès où la carte recouvre et remplace petit à petit un territoire réel 10 – est ici le lieu possible d'un retrait fictif face à la surenchère des images dans le monde réel.
On pourrait ainsi qualifier l'œuvre de Pascal Poulain en reprenant la terminologie foucaldienne, d'"hétérotopologie poétique" : "une sorte de description systématique 11 qui aurait pour objet l'étude, l'analyse, la description, la "lecture" de ces espaces différents, ces autres lieux, une espèce de contestation mythique et réelle des lieux où nous vivons". 12 Tour à tour, les lieux qu'il choisit répondent ainsi aux critères caractéristiques de l'hétérotopie énoncés par Foucault. Isolés mais pénétrables, ils se retrouvent un peu partout et dans chaque culture. Ils sont par ailleurs profondément liés à l'imagination de notre temps, s'avèrent souvent paradoxaux pour peu qu'on les saisisse à différentes échelles, et synchroniques dans la mesure où ils juxtaposent les époques ou hallucinent le temps réel.
Pascal Poulain, quelque soit le sujet qu'il représente, cherche la bonne distance à adopter face aux messages visuels caractéristiques de notre contemporanéité consumériste. En pratiquant une sorte de feuilleté du monde en sa surface, il interpelle le spectateur à adopter l'image pour ce qu'elle permet de liberté de regard contre les images superficielles qui nous aliènent. Les espaces vides qu'ils représentent – où il efface volontairement les présences humaines effectives – fonctionnent comme autant d'espaces de projection pour un nouveau regard et un nouveau positionnement physique. Jean-Luc Godard, dans le court-métrage Changer d'images, disait que tout contrat accepté avec les visibilités s'ouvre comme une collaboration avec l'ennemi. 13 Pascal Poulain, sur le même terrain, oppose à l'image-ennemie son double, qui, une fois n'est pas coutume, la reflète et la démasque l'air de rien.
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— 1.
Ludwig Feuerbach, L'Essence du Christianisme, préface à la seconde édition, Paris, Lacroix et Verboeckhoven, 1864, p. XV
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— 2.
Jean Baudrillard, Simulacre et simulation, Paris, Galilée, 1980
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— 3.
Susan Sontag, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgeois, p.181-209.
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— 4.
Michel Foucault, Des espaces autres, in Dits et écrits IV, Paris, NRF/Gallimard, 1994, p. 752-7625. Ibid., p. 759
- — 5.
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— 6.
Voir à ce sujet l'article de Marie-Cécile Burnichon Les hors champs éloquents de Pascal Poulain, in ZéroQuatre, printemps 2009, p. 9
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— 7.
Jean Baudrillard, Disneyworld Company, in Libération, 4 mars 1996, p. 7
- — 8.
- — 9.
- — 10.
- — 11.
- — 12.
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— 13.
Jean-Luc Godard, Changer d'images, court-métrage documentaire, 1982, 10 min.
IMAGES INTRUSES
Par Pascal Beausse, 2003
Catalogue de l'exposition Pale Fire, Édition du Centre National de la Photographie, 2003
IMAGES INTRUSES
Par Pascal Beausse, 2003
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