Simon Feydieu
Dossier mis à jour — 28/08/2019

POLLY

La flaque et la lune

Dans la rue, il y avait une flaque d’eau.

Elle n’était pas très jolie et les enfants adoraient lui sauter dessus, ce qui la faisait toujours pleurer.

La nuit, elle regardait la lune ronde. Elle était tellement belle cette lune ronde que la flaque voulait absolument lui ressembler. Alors, à chaque pluie, elle grandissait, grandissait pour devenir ronde, grande et belle comme la lune. Si bien que celle-ci la remarqua et se vexa de si bien s’y réfléchir. La lune ne voulait pas qu’on lui ressemble. Chaque nuit, elle mincissait ou grossissait pour que la flaque ne sache plus si elle devait s’étendre ou s’assécher. Les enfants continuaient à lui sauter dessus mais elle était devenue tellement grande que cela ne la faisait plus pleurer. Au contraire, à chaque fois que les enfants venaient s’y baigner, ils perturbaient le reflet de la lune, qui continua alors à croître et décroître par habitude, sans plus se soucier de qui souhaitait lui ressembler.

L’enfant sans histoire

Polly était une gentille enfant avec de petites oreilles et une grande mémoire. Elle adorait que son Papa lui raconte des histoires mais elle ne voulait jamais qu’il ne les raconte une deuxième fois.

Son Papa eut bientôt le sentiment de lui avoir lu tous les livres et désespérait d’en trouver un nouveau chaque jour, chez Jean-René de la Raie, le libraire.

Un soir, il ne trouva plus de nouvelle histoire à lire à Polly qui sembla très triste. Alors son Papa s’assit sur son lit, ferma les yeux et lui inventa une nouvelle histoire pour l’endormir. Il fit de même le lendemain et tous les soirs. Car au lieu de passer sa journée à chercher des livres, le papa vaquait à ses occupations, et le soir, en couchant Polly, sa journée lui inspirait toujours une nouvelle histoire.

Le Géant Clic-Clac

Quand Polly allait chez son Papa, elle dormait dans un lit clic-clac. C’était un canapé-lit convertible, que l’on ouvrait chaque soir pour qu’elle puisse dormir dans le salon. Seulement chaque matin, quand elle se réveillait, le lit était redevenu un canapé, mais de la même taille que le lit où elle avait dormi. Il avait doublé de taille ! Il fallait donc ouvrir le soir un clic-clac beaucoup plus grand, et le lendemain le lit se retransformait en canapé, toujours de la taille du lit de la veille.

Un soir, le canapé était devenu tellement grand qu’il occupait presque tout le salon. Le Papa ne pouvait plus l’ouvrir pour le convertir en lit. Heureusement que le canapé était suffisamment grand pour que Polly puisse y dormir sans tomber par terre. Le lendemain, le Papa partit voir Jean-Philippe de la Raie, le vendeur de literie, et y acheta un vrai lit pour Polly.

Un lit qui ne grandirait pas plus vite qu’elle.

Les chaussures grandes et petites

Polly voulait avoir de jolis pieds ce pourquoi elle portait des chaussures trop petites. Elles lui serraient très fort et cela lui faisait mal lorsqu’elle courait.

Son Papa n’aimait pas particulièrement ses propres pieds ni courir mais il aimait son confort et portait des chaussures trop grandes, si bien qu’il les perdait régulièrement.

On trouvait donc de grandes chaussures un peu partout dans l’appartement du Papa, ainsi que des chaussettes, qui elles aussi étaient à la taille de ses chaussures et non de ses pieds. Polly se prenait souvent les pieds dans ces chaussures, trébuchait et tombait. Heureusement, sa chute était à chaque fois amortie par les chaussettes de Papa.

Un jour, Polly en eut assez de chuter dans le salon, dans la cuisine, dans le couloir et dans la grande chambre. Cela suffisait toutes ces grandes chaussures et ces chaussettes qui traînent. Elle commença par les ranger, puis cacha ses chaussures à l’intérieur de celles de son Papa pour qu’il chausse à sa taille et cesse de les perdre. Seulement voilà : à force de perdre et de chercher ses chaussures, son Papa avait un plus grand nombre de paires que Polly. Aussi, quand Polly voulait enfiler des chaussures, il lui arrivait fréquemment d’enfiler les paires vides de son Papa. Elle découvrit bientôt le confort de chausser à sa pointure et exigea d’échanger toutes ses chaussures avec celles de son Papa, qui lui aussi commençait à apprécier de ne plus avoir à chercher ses chaussures perdues.

Enfin Polly put courir sans avoir mal au pied ni chuter dans le désordre de l’appartement.

Le poisson rouge sauvage

Le Papa de Polly venait d’acheter un aquarium chez Jean-Christophe de la Raie, le gérant de la boutique animalière. Dedans, ils y mirent un poisson rouge que Polly avait attrapé avec son épuisette dans l’étang de Mamie Blue. Mais le poisson s’embêtait tout seul. Il boudait et ne voulait plus faire des bulles et il se cachait derrière les feuilles de salade en plastique. Le Papa de Polly acheta alors un deuxième poisson rouge. Mais Jean-Christophe de la Raie lui dit que l’aquarium était trop petit et lui en vendit un deux fois plus grand et deux fois plus cher.

Malheureusement les poissons rouges restaient toujours derrière la même feuille de salade en plastique car ils oubliaient toujours qu’ils n’avaient pas visité le reste de l’aquarium. Les poissons rouges n’ont pas une bonne mémoire du tout.

Le Papa changea alors l’eau pour mettre de nouvelles feuilles de salade en plastique mais l’eau était trop propre et les poissons ne voulaient plus se réveiller. Alors le Papa prit les deux poissons rouges et les mit dans les toilettes avec les feuilles de salade en plastique et tira la chasse pour les réveiller.

Les deux poissons rouges rencontrèrent plein de nouveaux poissons rouges dans les conduits d’évacuation des eaux usées. Ils purent prendre toute la place qu’ils désiraient dans les stations d’épuration des eaux avant de visiter la Grande Mer. C’est sans doute grâce à des Papas comme celui de Polly que l’on trouve autant de poissons qui dorment dans la mer.

L’oiseau Dolly Prane

Les habitants de la Ville Chaude avaient souvent mal à la tête.

Leurs écrans et leurs téléphones recevaient ou envoyaient des sons, des lumières, des images et des messages dans les airs. Le ciel en était très pollué. On ne voyait plus grand chose lorsqu’on levait le nez.

Polly avait un oiseau qui s’appelait Dolly Prane. Il chantait toute la journée et dansait le moonwalk sur son perchoir. Lui aussi envoyait des sons et des images dans l’air, mais jamais il n’avait mal à la tête. Il était dans une jolie cage et ne faisait rien de ses journées à part regarder les images du monde à la télévision à travers ses barreaux.

Polly eut une idée. Elle demanda à son Papa de transformer l’appartement en grande cage. Le Papa alla chez Jean-Hubert de La Raie, le quincailler, et acheta de jolies tiges de cuivre et d’argent puis les tressa à l’appartement pour en couvrir les murs, les plafonds, les fenêtres et la porte d’entrée.

Une fois le travail terminé, ils ouvrirent la cage de Dolly Prane pour qu’il puisse voler dans l’appartement puis se reposèrent tous les trois en regardant la télévision du voisin, depuis leurs fenêtres et ils n’eurent plus jamais mal à la tête.

Les balcons de la Ville Chaude

Dans la Ville Chaude, l’architecture était très jolie mais les soirées étaient tristes. La journée, les enfants restaient à l’intérieur à cause de la chaleur et les parents ne discutaient pas beaucoup avec eux le soir car ils étaient fatigués.

Les adultes avaient perdu en grandissant le plaisir de jouer ensemble et d’avoir des conversations. Ils communiquaient avec des écrans et des téléphones mais ne s’occupaient plus des enfants qui s’ennuyaient de plus en plus.

Pour prendre l’air, les enfants avaient le droit d’aller sur leur balcon.

Les balcons n’étaient pas grands mais ils étaient nombreux. Sur chaque façade, sous chaque fenêtre, on trouvait un balcon vide. On pouvait facilement entendre ce qui s’y disait. Alors, au lieu de s’ennuyer tout seul, les enfants de la Ville Chaude commencèrent à s’appeler, se présenter, donner leur nom, leur âge et raconter leur journée. Tous les soirs avant de se coucher, un brouhaha résonnait maintenant dans les rues de la Ville Chaude. Les enfants étaient tous sur leurs balcons et discutaient gaiement.
Les parents finirent par ne plus pouvoir écouter leurs écrans et leurs téléphones et sortirent aussi sur le balcon pour voir ce qui provoquait toute cette agitation. Les enfants les accueillirent et leur présentèrent leurs voisins de balcon. Les parents commencèrent eux aussi par donner leur nom puis à raconter leur journée.

Si bien que tous les soirs, dans la jolie Ville Chaude, tu peux entendre le brouhaha joyeux des balcons qui ne furent plus jamais vides.

Les grandes assiettes

Polly aimait bien aller au restaurant. Chaque vendredi, son Papa l’emmenait manger chez Jean-Xavier de La Raie, le restaurateur le plus chic de la Ville Chaude.

Au début, Polly mangeait de grandes portions dans de petites assiettes. Mais à chaque fois qu’elle revenait, les assiettes grandissaient et les portions rapetissaient. Son Papa lui expliqua que, quand il était petit, c’était exactement l’inverse : les assiettes paraissaient toujours plus petites et les portions plus grandes. Pour Papi et Mamie Blue, c’était encore l’inverse, les portions rapetissaient lorsqu’ils étaient enfants.

Polly souhaitait manger des grandes portions dans de grandes assiettes mais cela n’était jamais possible chez Jean-Xavier de La Raie, le restaurateur le plus chic de la Ville Chaude. Par contre, on pouvait manger des grandes portions dans de petites barquettes chez Monsieur Ali mais celles-ci faisaient trop grossir, disait son Papa. Aussi Polly n’était jamais malade en sortant de chez Jean-Xavier de La Raie, mais bon, elle avait toujours faim.

Alors, une fois rentré à l’appartement, son Papa lui donnait un granito au chocolat de la taille d’une assiette à dessert.

Polly aurait bien voulu pouvoir manger toutes les assiettes de chez Jean-Xavier de La Raie, si elles étaient en chocolat, en courgettes ou en frites de panais. Elle n’aurait vraiment plus faim avec toutes ces grandes assiettes vides et délicieuses.

La course d’obstacles

Polly aimait faire de la trottinette électrique sur les trottoirs de la Ville Chaude. Son Papa l’installait sur la sienne et elle se tenait très fort au guidon.

Son Papa adorait les parcours d’obstacle. Il passait entre les gens, frôlait leurs sacs, leurs cannes ou leurs chiens, et il arrivait toujours à contourner les trottinettes jonchant les trottoirs et les déjections canines. Il ne ralentissait jamais.

Beaucoup de Papas faisaient de même et Polly voyait bien que son Papa faisait la course pour gagner. Alors, chacun laissait sa trottinette un peu au milieu du trottoir pour créer de nouveaux obstacles et ralentir les autres Papas.

Cependant, les adultes qui ne faisaient pas la course en avaient assez de devoir eux aussi enjamber les obstacles. Jean-Romain de la Raie, le maire de la Ville Chaude, proposa d’organiser des courses de trottinettes dans l’ancien vélodrome. Il était souvent vide car plus personne ne faisait de vélo car il fallait pédaler.

Tous les dimanches, les Papas concouraient dans le vélodrome, qui devenait de plus en plus encombré de trottinettes. Les enfants s’amusaient à construire des pyramides, des haies et des barrières de trottinettes pour augmenter l’exploit de leurs Papas qui devenaient de véritables acrobates.

Les obstacles fabriqués par les enfants étaient très élaborés, alors les Papas n’osaient plus récupérer leurs trottinettes. Ils les laissaient dans le vélodrome, au milieu de la piste, comme véhicule ou comme sculpture, au choix des enfants. Si bien que les trottoirs étaient devenus presque vides. Pour remporter les courses du weekend au Vélodrome, les Papas s’entraînaient toute la semaine à courir, passant entre les gens, frôlant leurs sacs, leurs cannes ou leurs chiens, contournant les déjections canines mais sans plus encombrer les trottoirs de la Ville Chaude.

Les sacs bleus

Dans la Grande Mer, les poissons rouges sauvages passaient beaucoup de temps à dormir, si bien que les courants marins les faisaient dériver très loin des côtes, loin des marins et loin des pêcheurs.

Il devint très difficile de trouver des poissons pour faire de bons repas.

Le Papa de Polly alla demander conseil à Jean-Pascal de la Raie, le poissonnier de la Ville Chaude. Celui-ci lui expliqua que les poissons sauvages étaient trop occupés à manger des détritus dans la Grande Mer pour se faire capturer. Peut-être qu’au lieu de jeter les sacs, il serait plus avisé de les utiliser comme appâts pour attirer les poissons, les pêcher ou les piéger, disait-il.

Le Papa de Polly conserva toute la semaine ses sacs, ses boîtes et ses conserves puis les transforma astucieusement en canne à pêche, en casier à trappes et en filet. Le dimanche, il emmena Polly pêcher le long de la côte.

Il attrapa deux beaux poissons rouges sauvages grâce à un sac en plastique bleu percé de petits trous et le soir, il prépara une belle grillade sur son balcon.

Les voisins eurent vent de son succès et bientôt, tous les habitants de la Ville Chaude se mirent à conserver leurs emballages pour fabriquer leur matériel de pêche. Jean-Pascal de la Raie transforma la poissonnerie en fabrique d’articles de pêche issus d’emballages recyclés qu’il vendait avec succès très cher sur Internet.

À force de persévérance, les habitants de la Ville Chaude devinrent de très bons pêcheurs avec leurs précieux et rares emballages et les poissons rouges sauvages revinrent le long des côtes et dans les rivières car ils avaient une mauvaise mémoire et ne trouvaient plus nulle part ailleurs de jolis sacs en plastique bleu.