Simon Feydieu
Dossier mis à jour — 09/04/2024

Textes

Texte d'Amélie Lucas-Gary

Produit par Documents d'artistes Auvergne-Rhône-Alpes avec le soutien la Fondation de l'Olivier, 2024

Sans motif apparent

Par Martial Déflacieux, 2022

La sculpture par la tranche

À propos des rapports entre art et architecture dans le travail de Simon Feydieu
Par Pierre Tillet, 2015

En 1936, cherchant à rendre compte des proximités entre peinture et architecture, Alfred H. Barr relie une peinture de Theo van Doesburg, Rythme d'une danse russe (1918) au plan de la Maison de campagne en briques de Ludwig Mies van der Rohe (1922). Cette célèbre comparaison repose sur une analogie formelle entre deux images élaborées à partir de segments peints ou dessinés, qui « ne fabriquent pas de figures géométriques closes » 1. À l'examen, le rapport établi par Barr ne s'avère pas pertinent. Tout d'abord, Mies van der Rohe s'est défendu d'avoir été influencé par van Doesburg. D'autre part, l'architecte recherchait une fluidité entre des espaces construits, ouverts (plutôt qu'une articulation entre des volumes clos), ce qui n'avait rien de commun avec la représentation schématique, inspirée de la danse, de l'artiste. Plus exemplaire des liens entre les deux domaines est l'Espace Proun réalisé par El Lissitzky en 1923 dans le cadre de la « Grande exposition de Berlin ». Cette boîte, dont les murs et le plafond étaient modifiés par des signes plastiques destinés à susciter le mouvement circulaire du spectateur, pouvait être regardée comme une « station d'aiguillage » 2 entre peinture, sculpture et architecture.

Jusqu'à une période récente, on connaissait notamment Simon Feydieu pour ses sculptures architecturées ou ses interventions modifiant la perception et les usages de l'espace d'exposition dans lequel elles prenaient place. Ainsi, Kom (2011) était une œuvre influencée par le Merzbau (1923-1943) de Kurt Schwitters, dont Feydieu reprenait le principe de la collecte puis de l'enfouissement d'objets sous des plans construits reflétant leur volumétrie. Auparavant, Bossanoïa (2010) apparaissait comme une cloison dont les carreaux de plâtre étaient scellés par des figues et des grappes de raisin 3. La chimie organique des fruits tranchait avec le caractère minéral des carreaux. Ils formaient une « mixture collante » 4, utile dans ce qui aurait été, sans cela, le montage à sec d'un matériau de construction. La cloison, quant à elle, fermait l'espace par une diagonale ne s'élevant pas jusqu'au plafond, ce qui était aussi une manière de rendre désirable la partie de la pièce devenue inaccessible (même si elle était de nature semblable au territoire occupé par le spectateur).

À la différence de Kom et de Bossanoïa, les neuf panneaux de la série Vairon conçue en 2015 5 n'entretiennent pas de relation avec le lieu de leur présentation. Avec cet ensemble, plutôt que de penser voire de déduire une œuvre de l'espace expositionnel, Feydieu focalise son attention sur un matériau de construction, le placoplâtre, pour faire des œuvres autonomes, ne dialoguant qu'entre elles. Chaque panneau de la série est un diptyque. Après avoir assemblé deux plaques distinctes, Feydieu pratique des incisions sur leur largeur, les convertissant en bas-reliefs et introduisant de l'unicité dans ces éléments standardisés. Ensuite, il accroche les panneaux au mur, ce qui incite à la regarder comme des peintures. Cette perception est renforcée par la présence d'un zip coloré à la jonction des plaques formant chaque diptyque, zip qui en souligne les différences de tons. En effet, selon la provenance géographique ou la chimie spécifique du plâtre, chaque diptyque présente deux surfaces plus ou moins claires, plus ou moins grises. Enfin, leur opticalité est accentuée par la présence de deux bandes verticales situées à leurs limites latérales, l'une du même ton que le zip, l'autre d'une couleur différente 6.

À l'instar de Vairon, les quatre œuvres constituant la série Babas Reliefs, exposée pour la première fois à l'INSA de Villeurbanne en 2016, mêlent architecture, peinture et sculpture. Le matériau employé est du polystyrène servant dans la construction à des fins d'isolation. Là aussi, deux panneaux constituent chaque œuvre, mais en un sens différent : cette fois, Feydieu les a juxtaposés dans la profondeur. Un Baba Relief se présente donc, dans un premier temps, comme une épaisse plaque de polystyrène. Trois des œuvres sont presque uniformément blanches, leur surface étant à peine parsemée de billes noires. L'une est noire, à l'exception de rares billes blanches. Étant fixés au mur, les panneaux acquièrent une valeur picturale, même s'ils sont laissés bruts et que rien d'autre ne se passe à leur surface que des accidents de noir sur du blanc, ou de blanc sur du noir. Il n'y a pas de signe artistique visible, pas d'image – à peine pense-t-on (ce qui a un intérêt en soit) à des paysages de neige synthétique ou à des flocons noirs.
Cependant, le spectateur ne peut manquer d'être intrigué par l'épaisseur des œuvres. Contournant leur surface, il a alors la surprise de découvrir, sur leur chant, des bas-reliefs géométriques et abstraits. Ce qui est donné à voir renvoie aux reliefs en ciment d'inspiration brutaliste présents sur certains murs du campus de l'INSA et de l'Université Lyon 1 contiguë. Par là, Feydieu fait entrer à l'intérieur d'un bâtiment des éléments d'un langage plastique visible à l'extérieur, éléments qui ne sont observables que de manière latérale sur ses œuvres.
Le fait est d'importance. Il rappelle la « latéralisation de l'événement pictural » 7 observable dans la série des wrap arounds de Jo Baer, soit un ensemble de vingt-cinq toiles réalisées par l'artiste américaine entre 1969 et 1974. Chaque œuvre, composée d'un seul élément ou diptyque, triptyque, voire polyptyque, se caractérise par une surface presque totalement blanche (ou gris clair). Chaque tableau a donc « l'apparence du vide » 8. Seuls les côtés gauches et droits sont marqués par une fine composition géométrique, qui est également visible sur le chant et qui se prolonge à l'envers des œuvres, comme le laisse supposer l'interruption du motif.
Évidemment, les wrap arounds de Baer sont fort éloignés des Babas Reliefs de Feydieu. Ces derniers ne sont pas des peintures, mais imbriquent peinture (l'intérêt de leur frontalité n'est pas nié), architecture (le polystyrène, matériau de construction) et sculpture. À ce mélange, à cette hybridation s'ajoute une opération qui a consisté, pour Feydieu, à enduire de ciment le polystyrène creusé. C'est là un geste contre-intuitif, voire anti-architectural : il est malaisé de trouver un intérêt constructif au fait de recouvrir une matière friable d'une autre qui est, au contraire, pérenne. Enfin, il est loisible de regarder la partie façonnée des Babas Reliefs comme des anti-cadres. On sait que le cadre a, en peinture, pour fonction de créer une zone intermédiaire, neutre, entre la représentation et le mur. Son rôle est aussi de dissimuler la matérialité du tableau, son caractère d'objet (une toile tendue sur un châssis). En sculptant le chant des plaques de polystyrène, Feydieu inverse la logique du cadre. Il ôte de la matière plutôt que d'en ajouter. Il souligne le lieu de la jonction entre l'œuvre et le mur. Il met en avant une matérialité paradoxale (du ciment sur du polystyrène). Il fait du chant de l'œuvre le lieu principal de l'événement artistique. On pourrait voir là une inversion du rapport classique, en peinture, entre fond et forme. Ici, la forme n'est pas ce qui émerge du fond, elle est ce qui apparaît sur les tranches, de part et d'autre de la surface. Comme si chaque Baba Relief était une découpe dans la profondeur, une tranche de l'un des reliefs éparpillés sur le campus.

  • — 1.

    Jacques Lucan, Composition et non composition. Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p. 391.

  • — 2.

    Selon le mot fameux d'El Lissitzky traduit par Yve-Alain Bois dans « De -∞ à 0 à +∞. L'axonométrie ou le paradigme mathématique de Lissitzky », dans Y.-A. Bois, Jan Debbaut, Selim Omarovic et al., El Lissitzky (1890-1914). Architecte, peintre, photographe, typographe, cat. d'expo., Stedelijk Van Abbemuseum, Eindhoven, Fundacion Caja de pensiones, Madrid, Musée d'art moderne de la Ville de Paris/ARC, Eindhoven/Paris, Stedelijk Van Abbemuseum/Paris-musées, 1991, p. 37.

  • — 3.

    -L'œuvre, présentée pour la première fois au centre d'art Néon (Lyon), est réactivable selon un protocole décrit par l'artiste dans Simon Feydieu, Fabien Pinaroli, Le livre noir, Stuttgart/Lyon, Institut français de Stuttgart/Adera, 2014, p. 18 (désignée par la lettre « r »).

  • — 4.

    Ibid.

  • — 5.

    Cette série a été présentée au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole lors de l'exposition « Global Line 18 ».

  • — 6.

    Les couleurs du « zip » et des bandes latérales ne sont pas arbitraires : elles correspondent aux codes employés pour désigner la fonction des plaques (ignifuge, hydrofuge, servant d'isolant phonique, etc.).

  • — 7.

    Michel Gauthier, « La diagonale du fond. À propos des Unfurled Paintings de Morris Louis », Les Cahiers du Musée national d'art moderne, no 60, été 1997, p. 36.

  • — 8.

    Ibid.

Avant Propos

Par Simon Feydieu, 2014

Les affinités sélectives de Simon Feydieu

Entretien avec Karen Tanguy
In ZéroQuatre n°12, printemps 2013