Vir Andres Hera
Dossier mis à jour — 01/06/2024

Textes

Une composition dans les ruines

Par Ziphozenkosi Dayile
In Le Daftar, Chinampa Éditions, 2023

Le Daftar : langue de la pythie, images oraculaires, corps transtemporels

Par Eva Barois De Caevel, 2022
In Le Daftar, Chinampa Éditions, 2023

Saisir la peau du monde

Par Chantal Pontbriand, 2020

Roman - L'élégance, la science, la violence !

Autour de Le Romanz de Fanuel, un film de Vir Andres Hera, par Yannick Haenel, 2018

Le Fresnoy - Panorama 17, Studio national des arts contemporains, Tourcoing

J'attends le miracle ; ou rien.

Je veux ressentir ce vertige qu'Antonin Artaud appelle une "translation sur le plan-foudre".

Lorsque aujourd'hui je ferme les yeux, allongé sur le lit de la chambre 26, tout au bout du couloir, au  deuxième étage du Fresnoy, il y a un vers qui tourne dans ma tête : "Atlas, herbiers et rituels". Je crois qu'il est de Mallarmé. Peu importe, il semble résumer le monde à une liasse de papiers ; mais à travers son coup de dés se déploie une vision : il y a des cartes, mais aussi des plantes et des sacrifices. Tout s'allume et se met à tourner : il y a le Mexique des saints, la forêt des éventrations, il y a une rivière de phrases diamantées, des voix, des souffles, des nudités, des ruines et des pierres qui volent, il y a une montagne, il y a deux montagnes, il y a dix montagnes, il y a aussi plusieurs déserts, des arbres timides, des cadavres, des fantômes. La profusion est désirable. La poésie est plus vaste que le monde. C'est un "stock d'études", comme dit Rimbaud – c'est une arche.

Ce roman est l'histoire des portes que l'on ouvre la nuit quand on est seul, et que s'allume l'ardeur.

Au deuxième étage, lorsque l'on sort de l'ascenseur du côté de la Voie Rapide D656, on tombe, à gauche, sur une enfilade de bureaux. J'ai ouvert celui où Jean-Marie Straub et Danièle Huillet montaient leurs films, j'ai allumé un écran : c'était Le Romanz de Fanuel, un film de Vir Andres Hera.

Nous avions longuement parlé lui et moi de ce saint médiéval qui est le grand-père de la Vierge ; j'étais ébloui qu'un jeune artiste aimât la vie des saints, qu'il connût Fanuel, qu'il désirât lui consacrer un film. Dans mon souvenir, Fanuel est engendré par le parfum d'une fleur qui vient de l'arbre de la science ; il offre des pommes miraculeuses aux malades ; un jour, après avoir partagé l'une d'elles, il essuie son couteau contre sa cuisse et le suc de la pomme l'ensemence : il se trouve enceint, dans la cuisse, d'une jeune fille qui sera sainte Anne, la mère de la Vierge.
Et puis je me souviens — ou est-ce VIR ANDRES HERA qui l'imagine ainsi ? Ou est-ce moi qui projette ? – qu'à un moment de sa vie, Fanuel devient un autre : il change de sexe, c'est une femme.
Je regarde le film. C'est un éblouissement. On assiste à l'itinéraire mystique de Fanuel : d'abord la contemplation des figures sacrées dans une église, puis la solitude dans un village désert de montagne, le franchissement des portes, l'écriture, encore des portes, et la marche vers le volcan, et le corps qui trouve sa porte étroite, celle de la métamorphose spirituelle.
On entend une voix : « Les dieux ne sont pas morts. Seule est morte votre perception. Nous ne sommes pas partis, seulement nous avons cessé de nous manifester. Ou bien vous avez fermé vos yeux. » C'est une voix rauque et féminine, comme dans Barbare de Rimbaud : celle d'un dieu aztèque qui, en nommant les éléments, rend explosive la limpidité. La promesse d'une pomme ensemence le temps comme un homme devenant femme multiplie son avenir. Un « ventre d'empereur et de mendiant » : on entend ces mots dans la lumière crue du film de Vir Andres Hera.

N'est-il pas question d'accoucher de la vérité ? L'étreinte des saints est la signature du désert. Et puis, être une personne, c'est connaître la dernière des solitudes : voici pourquoi on continue à raconter des histoires. Ce point aveuglant vers lequel marche le saint, et pour l'attirance duquel il brave l'obstacle des montagnes, c'est la transparence de la métamorphose : changer de sexe, n'est-ce pas entrer dans le mystère ? L'impossible ne se conquiert qu'à travers une cérémonie ; et le faste liturgique donne sur l'ascèse, comme l'ascèse donne sur Dieu. Le Romanz de Fanuel, avec la beauté du miracle tranquille, fait voir l'impossible. Je me demande tout le temps : où y a-t-il encore parole ? Une promesse a été faite : la parole reviendra. Elle n'existe qu'à travers son retour à venir (c'est la littérature). L'art de Vir Andres Hera comble parce qu'il a à voir avec la littérature, il fait vibrer la parole. Comme le disait Dante à propos de Giotto, il a le cri – « il grido ».

Vir Andres hera, Artiste de la Casa de Velázquez — Académie de France à Madrid

Par Amina Damerdji, 2016