Textes
La sculpture ouverte
Par Pauline Lisowski, Magazine Artension, 2024
La sculpture ouverte
Par Pauline Lisowski, Magazine Artension, 2024
Corps en présence
Par Laurence d'Ist, Le Quotidien de l'Art, 2023
Corps en présence
Par Laurence d'Ist, Le Quotidien de l'Art, 2023
Chemin faisant
Par Pauline Boucharlat, Semaine n°464, éditions Immédiats, 2023
Chemin faisant
Par Pauline Boucharlat, Semaine n°464, éditions Immédiats, 2023
Awena Cozannet mène depuis plus de vingt ans des recherches sur les relations qu'entretiennent l’être humain et son environnement, qu’il soit naturel, social et/ou politique. Ses dessins, sculptures, performances et photographies donnent à voir et à penser des constructions complexes questionnant la manière dont chacun œuvre et produit des liens avec différents espaces topographiques et imaginaires. Son travail interpelle et inscrit la réflexion dans la métaphore, l’allégorie pour rendre plus sensibles les troubles du présent. Plis et replis font écho aux enchevêtrements de mythes qu’elle y convoque : des récits fabuleux symbolisant des énergies, des puissances, traduisant différents aspects de la condition humaine.
Avec et dans la matière, le parcours artistique d’Awena Cozannet est marqué par plusieurs résidences de création (en Chine, au Bangladesh, au Pakistan) qui vont être pour elle autant d’occasions d’explorer les gestes, les matériaux et cultures vernaculaires. En étroite collaboration avec les communautés au sein desquelles elle est accueillie, ses productions réinvestissent savoir-faire locaux, techniques traditionnelles mais également coutumes et rituels. Ses sculptures sont ainsi élaborées à partir de fibres naturelles, paille, boue, argile et d’éléments manufacturés : cuir, corde, soie, outils, perles, objets du quotidien.
Composées de cavités et de volutes, elles évoquent « en creux » la présence du corps qui est au cœur et à l’origine de tout processus de travail de l’artiste. Un corps évanescent ou suggéré, disparaissant sous la matière, ne se laissant percevoir que par la présence d’espaces béants, de traces d’appui. Mais également un corps à corps avec les matériaux dont les mains de l’artiste nous livrent le récit de l’éprouvant investissement pour expérimenter la forme : « les mains n’oublient pas ce qu’elles fabriquent », confie-t-elle.
Dans les expositions d’Awena Cozannet se mêlent plusieurs temporalités du processus de création : temps de conception par la présence de dessins préparatoires, temps de monstration des objets de production à travers les sculptures, temps d’activation de celles-ci par le moyen de la performance et de la photographie. Ce dispositif révèle l’idée pressentie que les sculptures semblent en attente d’être revêtues, manipulées, qu'elles sont les esches de possibles interactions. Lors de performances, des corps s’y insèrent et viennent dévoiler, parfois combler, ces espaces en suspens. Ainsi soumises à la lumière du jour, on peut alors saisir les variations des gammes chromatiques et les relations qu’elles tissent avec leurs environnements.
Être(s) en mouvement
L’invitation de la ville de Saint-Gervais-les-Bains, dans le cadre d’une résidence, a créé les conditions d’une rencontre de l’artiste avec le territoire de montagne. Située au pied du Mont-Blanc, elle lui a permis d’observer les paysages alpestres et leurs singularités : stratifications géologiques, sommets, crêtes et cimes, mais également de se sensibiliser à l’histoire de l’occupation humaine de ces espaces parfois inhospitaliers. Lors de ses recherches dans les musées de la ville et de leurs archives, Awena Cozannet s’est notamment intéressée à la figure du colporteur, ancrée dans la région du Val Montjoie et dont certaines gravures du 18e siècle témoignent encore. Bien connu des régions alpestres, le marchand ambulant, par nécessité, devait se résoudre à quitter sa terre de manière saisonnière. Souvent paysan de son état, il se lançait sur les routes dans le commerce et l’artisanat, affublé de son lourd paquetage constitué d’outils, d’objets, d’images ou encore de graines potagères.
Le corps courbé qui semble fléchir est en effet un motif récurrent dans le travail de l’artiste. Il est déjà présent dans les œuvres Women, look at you, Bangladesh, Silence, Chemin d’oubli, puis plus tardivement dans Soulever les racines, La main de l’Ange, Déplacer des montagnes, Porter son frère ou encore L’homme qui marche. Il peut suggérer une posture contrainte par un contexte politique et social, un état réflexif ou méditatif, un corps marqué par le labeur, un geste de soulèvement et de résistance… Ces figures voutées évoquent certaines esquisses de Francisco Goya que Georges Didi-Huberman désigne de « montages allégoriques »1, dans lesquelles l’artiste espagnol s’emploie à dénoncer injustices sociales, inégalités et absurdités tout autant qu’elles traduisent courage et énergie émancipatrice.
Dans le travail mené par l’artiste durant ces quelques mois, il s’agit donc moins de revenir sur l’histoire du métier de colporteur que de prendre cette figure vagabonde comme métaphore de la puissance de l’être humain, de sa capacité à marcher, à cheminer, malgré tout, pour exister / devenir. Une figure équivoque qui manifeste un double mouvement : celui de l’accablement (du corps ployant sous le poids de son fardeau) simultanément à celui déterminé d’une force motrice ; cette représentation posant de manière symbolique la question de CE QUI NOUS ANIME. Dans cette image, la lourde balle du colporteur rend tangible ce que nous portons ou supportons, aborde la douloureuse question, ce que nous devons nous résoudre à laisser, ou encore l’idée de ce que nous semons et récoltons au gré de nos déplacements, de nos rencontres. Ainsi, dans un mouvement de réciprocité, l’artiste nous invite à penser la manière dont nos fardeaux participent à la définition de nos « trajectoires », toujours fragiles et fugitives, et combien ces cheminements, en retour, modifient et nourrissent le contenu de notre paquetage.
Cette fois encore, dans les sculptures, la figure humaine est soustraite à la vue et laisse un espace disponible où chacun peut se glisser et dont il peut faire l’expérience. Aussi, nous découvrons dans l’exposition, d’énigmatiques structures colorées posées au sol ou suspendues. Des formes qui évoquent l’outil qu’endosse le colporteur, un équipement dont on trouve la trace dans de nombreuses civilisations : la claie de portage. Pour réaliser cette série d’« ossatures »2, l’artiste a procédé à des recherches iconographiques notamment dans ses propres archives rapportées des pays où elle a pu se rendre. Ce recueil de formes lui a permis d’examiner les permanences et la diversité de leur fabrication et de leur usage : des plus simples, élaborées à partir d’un coltin de bois et de corde, aux plus complexes, combinant divers éléments et principes de scellement. Outre le métal et les cordages, Awena Cozannet a choisi pour leur fabrication, l’utilisation de chutes industrielles et plus spécifiquement des sangles de portage ou de levage destinées au secteur de la construction. Des matériaux revêches qui prennent la forme de longues bandes de polypropylène, dont elle joue (et déjoue) la grande rigidité à la flexion : elle tend, tord, redresse, rembourre et compose.
Il est par ailleurs tout à fait fascinant de voir la virtuosité avec laquelle l’artiste combine ces matières aux couleurs codifiées, les détournant de leur emploi strictement utilitaire. « Je les agence, je les couds… leur assemblage fait écho à des formations géologiques, des concrétions, qui sont pour moi autant de strates de temporalités, de récits possibles ». Les sculptures deviennent des objets mouvants et métaphoriques, des éléments poétiques mais également des supports dont chacun a la charge d’y projeter son contenu.
Lors de la résidence, Awena Cozannet est allée à la rencontre des habitants pour leur proposer de choisir une sculpture, de s’en saisir, de l’endosser, lors d’une séance de marche. Le temps d’une marche envisagée comme un geste artistique, invitant les participants à penser la mobilité comme moyen de faire l’expérience du déplacement (mental et physique). Confrontés aux paysages et à la réalité topographique des lieux, les dos se courbent, les efforts et les corps s’adaptent aux reliefs et aux aspérités de leur environnement. Ils ploient, se redressent, font corps avec le paysage. Si la marche en montagne peut obliger à une écoute attentive de ses fonctions vitales, elle peut également relever de la flânerie discursive et introspective, favorisant une pensée libérée, admettant les digressions, l’improvisation et la discontinuité. En somme, une marche qui, comme l’écrit Jean-Jacques Rousseau arpentant ces mêmes montagnes, « met l’esprit en mouvement ».
Les photographies issues de ces temps de performances gardent la trace de cette rencontre éphémère du corps, de la matière et de l’espace. Elles placent les sculptures et leurs porteurs au cœur du territoire alpin, réactivant ainsi ses histoires et ses enjeux : lieu de passages aux multiples frontières, lieu de conquêtes (des sommets), lieu de vie d’agriculture et d’élevage, lieu de résistance, d’inquiétudes et de mythes. Les photographies invitent le regardeur à reconnaître autant qu’à se laisser surprendre par les gestes incertains, les postures instables, pris dans les effets atmosphériques. Confronté à l’immensité de ces paysages, l’être humain semble tenter humblement de l’habiter, donnant à voir sa fragilité, ses doutes et l’énergie qui le traverse. Les photographies proposent de nouvelles images, prolongement de celles que l’artiste s’étaient données comme point de départ de son processus créatif. C’est sans doute dans l’écart qui existe entre les constructions imaginaires anticipées par l’artiste et les photographies présentées que réside le cheminement artistique et exploratoire d’Awena Cozannet.
« […] des zones demeurent, des interstices perdurent, des espaces inframinces existent dans lesquels le corps, c’est à dire le regard incarné, parvient à être, comme on le dit de la pellicule photographique, impressionné, à se produire, et à fabriquer de la mémoire, des œuvres et de la transmission. […] Chemin faisant, le piéton planétaire élabore des microsituations expérimentales, il fabrique de l’expérience parce qu’il ne peut pas faire autrement, parce qu’il a à faire avec le monde, avec ses rythmes, son battement, et que, circulant dans ses vitesses, il ne recherche qu’une seule chose : l’invention d’une vitalité. »3
Porter son "dire"
Par Virginie Gautier
Catalogue de l'exposition Coton et dissonances artistiques, Musée du textile de Cholet, 2021
Porter son "dire"
Par Virginie Gautier
Catalogue de l'exposition Coton et dissonances artistiques, Musée du textile de Cholet, 2021
Quel courage a soudain germé sous le granite
Par Odile Crespy, 2017
Quel courage a soudain germé sous le granite
Par Odile Crespy, 2017
Tenir le fil
Par Jean-Louis Roux
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Tenir le fil
Par Jean-Louis Roux
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Le corps relatif d'Awena Cozannet
Par Frédérique Verlinden
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Le corps relatif d'Awena Cozannet
Par Frédérique Verlinden
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Autres textes en ligne
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Ce qui nous rassemble
Par Lucie Cabanes, Carnets de la création, Musées d’Annecy - Les éditions de l'Œil, 2020
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Pour les sculptures d'Awena Cozannet
Par Laëtitia Bischoff, TK-21 LaRevue n°104, 2020
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Il n'est pas d'adieu pour elle
Par Tayeba Begum Lipi
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014 -
Entretien avec Françoise Lonardoni
Soulever les racines marcher sur l’eau, Les cahiers de Crimée n°5, Galerie Françoise Besson, Lyon, 2010
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Quatre morceaux de langue pour ses morceaux de chair
Par Jean-Louis Roux
Soulever les racines marcher sur l’eau, Les cahiers de Crimée n°5, Galerie Françoise Besson, Lyon, 2010 (extrait)