Textes
La sculpture ouverte
Par Pauline Lisowski, Magazine Artension, 2024
La sculpture ouverte
Par Pauline Lisowski, Magazine Artension, 2024
Corps en présence
Par Laurence d'Ist, Le Quotidien de l'Art, 2023
Corps en présence
Par Laurence d'Ist, Le Quotidien de l'Art, 2023
Sur le chemin du retour, la sensation du corps en mouvement dans le paysage accompagne le déplacement, avec la légèreté que possèdent les sculptures d’Awena Cozannet ; elles se suspendent tactiles et percutantes à l’espace mental de nos destinées.
Après des études en école d’art, Awena Cozannet, née en 1974, vient à la sculpture par le modelage de figures à échelle humaine qu’elle réalise dans le paysage et qu’elle confronte à un danseur Butô. Dès le départ, ses créations confirment le travail de la main et la dimension performative de ses sculptures qu’elle photographie.
À partir de moyens simples, elle explore les questions qui la traversent en rencontrant les cultures du monde : Bangladesh, Pakistan, Birmanie, Chine, Nouvelle-Calédonie. Au cours de résidences dans les années 2000, elle observe, échange et exprime ce qu’elle voit : les contextes sociétaux, la place des femmes, le poids de la religion, les enjeux environnementaux, la mondialisation qui efface l’humain pour la seule valeur marchande... Elle a la révélation au Bangladesh que ce qu’elle cherche à traduire par le corps existe hors de sa représentation, puisque le « corps est matière », réalise-t-elle. Avec des écheveaux de soie rouge, elle crée une sculpture en hommage aux femmes. Tissée à partir du sac de chantier que ces dernières transforment en chapeau pour se protéger des lourdes charges qu’elles portent sur leurs têtes, Look at you (2003) est une robe tubulaire et inclinée, qui entre en mouvement. Awena Cozannet partage symboliquement la charge, celle de leur labeur qui s’inscrit dans le paysage par la splendeur de leurs voiles, et plus largement de leur destinée. La sculpture devient la métaphore performative de la vie que l’on porte, de l’usage et des choix que l’on opère. L’artiste dialogue avec les réalités qu’elle observe à partir des matériaux qui s’imposent à l’histoire et aux enjeux des lieux où elle séjourne. En Chine, les sacs de ciment sont cousus en forme de montagnes portées par un groupe d’étudiants pour Déplacer les montagnes (2012). Elle retient du conte populaire chinois qui lui inspire la performance, la puissance de la filiation qui symboliquement rend possible tout projet. Ensemble, le groupe éclaire l’utopie d’une force collective. En écho, résonne l’image des aménagements titanesques du paysage qui bouleversent l’existence même des habitants.
Le regard porte le voyage et les jambes l’horizon
Dans son atelier de Romans-sur-Isère dans la Drôme, le bruissement est celui de la machine à coudre similaire à celle des ateliers de confection du cuir ; activité historique de la ville.
Elle cherche ses matières chez les fabricants, artisans et industriels. Les étapes intermédiaires ou les chutes de production qu’elle récupère lui offrent une large gamme de textures et de couleurs qu’elle travaille ensuite par couture et par assemblage. Son approche rappelle le modelage quand elle monte la forme sur elle-même ou l’intègre au fur et à mesure dans une armature à la manière de colombins d’argile. Elle habille le vide d’une enveloppe qui invite le corps absent à s’y loger. Selon les séries, l’activation existe ou est simplement mentale. Ces espaces serrés sur l’intime sont tissés d’énergies, emmêlés d’histoires et surcousus de systèmes racinaires. On suit les lignes de forces des réseaux capiteux des cordes, et capitonnés des sangles. Leur résistance torsadée épouse et révèle la fluidité de reliefs qui déjouent les lois de la gravité (Marcher sur la tête, 2018). Il y a aussi les impressions photographiques sur feutre de laine de l’installation Earth (2010) qu’elle conçoit avec le pôle de recherche textile de Biella en Italie et l’association de soutien à la filière européenne. Ou celles qui semblent gonflées d’oxygène par les petites ligatures pratiquées sur les tissus smockés en Chine (Dix mille changements ne modifient jamais l’essence des choses, 2012). Intensément bleu, l’indigo calandré et la maille foulonnée (Marcher sur l’eau, 2009-2010) s’associent aux couleurs vives des matières destinées au levage et à la sécurité.
« Le matériau guide le sujet et le regard que l’on pose sur l’objet », précise l’artiste. Elle pose sur des tiges une succession de formes tels des morceaux de paysages de camaïeux vert prairie et bleu glacier à l’aplomb du sol. L’installation Ce qui nous rassemble (2019) évoque la frontière mentale de nos origines géographiques. Ouverts ou clos, ces sculptures s’apparentent à des drapés qui ondulent dans un même mouvement, chaloupant leur courant, supportant la gravité avec la même apesanteur. Suspendues mais néanmoins amarrées aux socles, leur présence reproduit le souffle commun en déploiement infini des êtres humains ; celui du regardeur qui permet aussi le mouvement inhérent à leur figure en se déplaçant autour.
Comment faire société ?
À l’image de la complexité humaine, en questionnant notre environnement, l’artiste ré-enchante la sculpture contemporaine. Elle possède cette chaleur tactile qui traverse l’histoire récente des œuvres textiles. Dans les années 1960, les « Abakans », sculptures tissées de sisal teint, que l’artiste polonaise Magdalena Abakanowicz déploie dans l’espace, transforment la signification usuelle de la sculpture. Les matières élémentaires que sont la laine, la terre ou la roche deviennent des opportunités d’expérience, des sculptures qui construisent des espaces à contempler. Même absent, le corps reste au cœur du dispositif et peut réapparaître à tout moment, à travers la sculpture figurative d’une post modernité assumée au présent. C’est l’avantage de l’oubli qu’annonçait de manière prophétique la mort prématurée de Germaine Richier en 1959. Car le corps qui renait aujourd’hui dans la figuration peinte ou sculptée n’a en fait jamais disparu des ateliers. On pressent avec bonheur la filiation qu’Awena Cozannet entretient avec ces personnalités. C’est-à-dire que le corps, présent ou non dans sa représentation, passe par le volume. Ses proportions restent branchées tant à la nature qu’aux notions classiques. C’est par le retranchement de la main à exécuter sa représentation pleine et complète que débute les possibilités liées à sa présence. Il faut donc bien connaître le corps pour le rendre physiquement absent et central. Vous me suivez ? Awena Cozannet possède cette approche sculpturale qui est celle de concevoir de l’intérieur, du cœur de la matière ; in fine sa recherche est de tendre à un allègement maximal jusqu’à la seule métaphore baroque et décorative qu’offre Force Motrice (2023). Réalisées en résidence à Saint-Gervais dans les Alpes, les sculptures se situent au carrefour de la claie de portage et de la dématérialisation de nos vies sur le Cloud, puisqu’elles ne portent aucune charge « visible ». Ossatures soudées, sur-sacs et harnais, le jeu d’esprit s’attache au sens par la forme. Les sculptures se développent dans la finesse de lignes qui évoquent l’amplitude de nos existences arrimées à nos corps. Sans lui, pas de mouvement ; et sans motricité, pas de développement personnel. Les photographies témoignent du cheminement d’un groupe. Vêtu de blanc, chacun porte une sculpture. Ensemble, ils écrivent dans le paysage de montagne l’histoire civilisatrice du déplacement passé et présent. L’imaginaire quitte un instant la terre, porté par ces images de fardeaux invisibles, pour rencontrer l’atmosphère futuriste des cimes enneigées. Premier chapitre d’un dispositif qui appelle d’autres perspectives, dans d’autres paysages avec d’autres porteurs…
Acteur en soi, acteur de soi, l’artiste approche le regardeur en tant qu’être vivant, en tant qu’être en mouvement. Ses sculptures affirment l’unicité du travail de sa main à représenter le corps par la pensée. Nourrie de l’abondance, mais aussi témoin des pressions et des enjeux de la mondialisation, Awena Cozannet sculpte patiemment les interstices de l’existence qui forment notre humanité, soit l’Essentiel.
Chemin faisant
Par Pauline Boucharlat, Semaine n°464, éditions Immédiats, 2023
Chemin faisant
Par Pauline Boucharlat, Semaine n°464, éditions Immédiats, 2023
Porter son "dire"
Par Virginie Gautier
Catalogue de l'exposition Coton et dissonances artistiques, Musée du textile de Cholet, 2021
Porter son "dire"
Par Virginie Gautier
Catalogue de l'exposition Coton et dissonances artistiques, Musée du textile de Cholet, 2021
Quel courage a soudain germé sous le granite
Par Odile Crespy, 2017
Quel courage a soudain germé sous le granite
Par Odile Crespy, 2017
Tenir le fil
Par Jean-Louis Roux
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Tenir le fil
Par Jean-Louis Roux
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Le corps relatif d'Awena Cozannet
Par Frédérique Verlinden
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Le corps relatif d'Awena Cozannet
Par Frédérique Verlinden
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014
Autres textes en ligne
-
Ce qui nous rassemble
Par Lucie Cabanes, Carnets de la création, Musées d’Annecy - Les éditions de l'Œil, 2020
-
Pour les sculptures d'Awena Cozannet
Par Laëtitia Bischoff, TK-21 LaRevue n°104, 2020
-
Il n'est pas d'adieu pour elle
Par Tayeba Begum Lipi
Tenir le fil, monographie, coédition Galerie Françoise Besson & éditions jannink, 2014 -
Entretien avec Françoise Lonardoni
Soulever les racines marcher sur l’eau, Les cahiers de Crimée n°5, Galerie Françoise Besson, Lyon, 2010
-
Quatre morceaux de langue pour ses morceaux de chair
Par Jean-Louis Roux
Soulever les racines marcher sur l’eau, Les cahiers de Crimée n°5, Galerie Françoise Besson, Lyon, 2010 (extrait)